Et Claude Nougaro débarqua ! Dans une émission de variétés de la première chaîne de la télévision française, un petit homme apparaît sur l’écran. En ce milieu des années soixante, il dénote par rapport à ses confrères chanteurs comme les incontournables Claude François ou Sacha Distel. Sur un rythme jazzy et convaincant, il interprète La clé (Saint Pierre donnez-moi la clé).

Claude Nougaro apparaît dans ma vie et me scotche par son swing, la musicalité de ses mots et l’arrangement de ce titre. Six ans plus tard, il refait surface grâce à mon frère Jacques qui vient d’acquérir deux "trente-trois tours"  : Sœur Âme et Toulouse.

Sœur Âme marque une étape importante dans l’évolution artistique de Claude Nougaro, disparu il y a exactement vingt ans. Dans les années soixante, il a porté sur l’écran noir de ses nuits blanches ses interrogations sur l’homme « but de ma course », la femme, l’amour, la vie, la société avec le sublime Paris Mai et la ville avec l’extraordinaire Ô Toulouse, qui conclut merveilleusement cette période.

Avec Sœur Âme, il va plus loin dans l’introspection pour passer le cap de l’individu à l’universel. Sa poésie, portée par les musiques de Maurice Vander et d’Eddy Louiss, résonne à travers les cuivres comme dans le titre éponyme ou encore le K du Q. Le nouveau Nougaro jaillit avec des poèmes de haute volée comme L’Amour dans l’âme et le sublime C’est Eddy, où les mots naviguent sur le son de l’orgue Hammond d’Eddy Louiss. L’Afrique, le rythme, seront au cœur de l’album suivant Locomotive d’Or. On y retrouve également une autre pépite, véritable hymne à la ville lumière Montparis « que la guerre épargna et que la paix massacre ». Puis viendra le Brésil avec Brésilien dans Femmes et famines. C’est à l’occasion de la sortie de cet album en 1976 que je vois pour la première fois le taureau toulousain en concert au Palais des sports de Caen.

Nougaro touche du doigt la magie poétique en 1977 avec trois poèmes extraordinaires : Victor, conçu comme un opéra, le surréaliste Plume d’Ange et bien sûr Jalousie, d’une extrême beauté. Au cours se sa tournée 1977, je retrouve Claude Nougaro au Palais des Sports de Caen et j’assiste à la première interview de mon frère Jacques, journaliste à Ouest France, dans la loge du poète en compagnie de sa sublime femme Marcia. Je recroise Claude Nougaro à Nice en 1983. Avec une tonalité plus rock, mais toujours entouré d’une bande de jazzmen, il aborde ce virage artistique qui ne sera pas une franche réussite.

Lorsque je le revois deux mois plus tard à Caen, tous les musiciens ont été virés et remplacés au pied levé. Le spectacle n’est pas à la hauteur. Claude ne cache pas sa déception. Je lui fais part de la mienne et sans sourciller, l’air grave, il ne cherche pas à me convaincre : « Tu dois écrire pour ton journal ce que tu as vu et ressenti. »

Après avoir été jeté par Barclay, Claude renaît de ses cendres en 1987 avec le tube Nougayork qui inonde les ondes. L’occasion de le retrouver au Petit Journal à Paris grâce à la complicité de sa sœur Hélène. Dans sa loge trop petite, une cour du "toutou-Paris" a pris place. Claude me fait signe de le suivre et c’est dans les toilettes que nous faisons une interview assez surréaliste.

En 1992, lors de sa tournée Une voix dix doigts, accompagné de Philippe Viard, directeur de L’Atelier à spectacle, je rejoins Claude en compagnie d’Hélène, son épouse et de Maurice Vander. Il se marre en lisant l’article de mon frère annonçant dans les colonnes de L’Écho Républicain son passage à Vernouillet (Eure-et-Loir). La dernière fois que je vois Claude sur scène, c’est en 2000 pour son ultime tournée Ombre et Lumière. A plus de 70 ans, toujours au top, il nous gratifie d’un concert mémorable et lumineux.

En 2003, Christian Laborde, écrivain et spécialiste de Nougaro, pose ses mots à Dreux dans le cadre d’une rencontre avec les lycéens. Christian m’apprend la maladie de Claude avec un diagnostic pessimiste. Au cours du repas, pris du même élan comme pour conjurer le sort, nous déclamons de concert avec Christian quelques vers des poèmes de Claude.

Tout au long de sa carrière, Claude Nougaro a mis l’homme au centre de ses chansons « même si je l’adore et l’abhorre. », me confiait-il en rigolant. Répondant à la supplique de Jacques Audiberti lui demandant de sauver la poésie, il est incontestable que le chanteur qui se rêvait poète aura réussi sa mission.

Claude Nougaro, tout comme Brassens, a laissé beaucoup d’orphelins au bord des sillons. Mais comme me le disait Christian Laborde :  « Il faut maintenant garder le swing ! »

Pascal Hébert

Nougaro au fil des Mots, par Jacques Hébert, éditions Ouest France.
Mon seul chanteur de blues, par Christian Laborde, éditions Martinière.

Photo : Pascal Hébert (1977)

C’st Eddy : https://www.youtube.com/watch?v=_R9LSEWiep0

Locomotive d’or : https://www.youtube.com/watch?v=9RDwUiqTPsA

Paris mai : https://www.youtube.com/watch?v=dM0fPuZ-VG4

Toulouse : https://www.youtube.com/watch?v=BCYo4a0DHJM