Quentin Guillemain, indiquez-nous vos origines familiales...
Je suis né à Niort en 1984, département des Deux-Sèvres, dans le Marais poitevin. Aîné d'une fratrie de trois enfants (un frère de 32 ans et une sœur de 29 ans), j'ai toujours vécu à la campagne au milieu de la nature et des animaux.
Mon père est boulanger de profession. C'est un métier difficile qui nécessite beaucoup de sacrifices. Il a ensuite travaillé dans la livraison des matières premières pour les boulangers pâtissiers. Quand j'étais enfant, je l'ai souvent accompagné dans ses tournées. Il travaillait dur le soir et le week-end pour subvenir à nos besoins. Cela m'a beaucoup marqué. Cassé par un travail physique harassant, il a dû s'arrêter de travailler...
Ma mère, quant à elle, a travaillé toute sa vie comme ouvrière qualifiée dans une entreprise d'électronique. Elle est désormais proche de la retraite.
J'ai passé beaucoup de temps avec mes grands-parents. Ils m'ont beaucoup apporté et avaient des profils différents. Ma grand-mère maternelle s'était occupée toute sa vie de ses douze enfants, et les réunions de famille qu'elle organisait, accueillaient chaque année des cousins et cousines qui venaient de toute la France. J'aimais beaucoup passer mes vacances dans la modeste maison où elle habitait au milieu de la campagne, et me rendre aux "Champs Beaux" (ancien jardins ouvriers des marais) pour entretenir le jardin familial et préparer les conserves pour l'hiver. Mon grand-père maternel était, lui, un citadin, douanier de profession, il était très cultivé, il m'a beaucoup apporté. C'est sûrement un peu grâce à lui que je suis allé à l'université.
Quel a été votre parcours scolaire jusqu'au baccalauréat ? Étiez-vous un bon élève ? Est-ce au lycée qu'est né votre intérêt pour la chose publique ? Quelles études universitaires avez-vous suivi ?
Du plus loin que je me rappelle, j'ai toujours été intéressé par la chose publique. Quand j'avais une dizaine d'années, j'allais à vélo voir le maire de mon village pour lui demander de faire telle ou telle chose.
J'étais plutôt bon élève. Mais mon milieu social m'empêchait d'imaginer pouvoir entrer à l'université. Titulaire d'un baccalauréat technologique dans un lycée technique, on nous conseillait, au mieux, de faire une licence professionnelle...
J'ai heureusement rencontré des professeurs qui m'ont poussé à tenter un DUT Génie électrique et Informatique industrielle à l'IUT de Poitiers. Loin du domicile familial, issu d'une famille modeste, j'ai dû travailler pour financer mes études, en plus des bourses. Titulaire de mon DUT, j'ai ensuite fait une licence de Sciences de l'Ingénieur à l'Université de Poitiers. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à m'investir dans le syndicalisme étudiant. Elu étudiant dans les Centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires (Crous), j'avais à coeur de travailler à ameliorer les conditions de vie et d'études de mes congénères. Quelle expérience salutaire et formatrice !
Je me suis ensuite inscrit à l'Université Paris-Diderot pour y réaliser une maîtrise de Sociologie tout en m'engageant dans le bureau national d'un grand syndicat étudiant. Dans la foulée, j'ai suivi un master de Communication politique à l'Université Paris-Est-Créteil. Plus tard, alors que je travaillais déjà, j'ai également obtenu une licence de Droit public, par correspondance.
Quel parcours professionnel avez-vous suivi jusqu'à aujourd'hui ?
J'ai d'abord travaillé dans une mairie d'arrondissement de Paris comme responsable du logement et des affaires sociales, puis, en tant que conseiller technique de la vice-présidente de la région Île-de-France en charge de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Depuis 2015, je travaille auprès de la direction du Cnous, un établissement public qui coordonne l'action des 26 établissements Crous en matière d'accompagnement social des étudiants, de logements et de restauration universitaire.
Expliquez-nous comment s'est construite votre passion pour la Cause ukrainienne.
Je suis allé en Ukraine pour la première fois en 2004, lors de la révolution Orange, qui a conduit à l'annulation du second tour de l'élection présidentielle à cause de l'accumulation des fraudes électorales. A cette époque, j'avais 20 ans, c'était ma première réelle expérience internationale, je n'avais jamais pris l'avion. En 2004, c'était un pays inconnu des Européens. Il disposait de peu de relations avec l'Europe, car le pays à l'époque était très tourné vers la Russie. On m'avait demandé de participer avec la diaspora ukrainienne à une mission d'observation internationale des élections. Logé chez l'habitant, j'ai découvert une culture différente et une aspiration démocratique incroyable.
J'y suis ensuite revenu régulièrement. J'ai notamment conduit trois missions d'observation électorale en lien avec l'Union européenne et l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
En 2014, j'ai fondé l'ONG Cosmopolitan Project Foundation pour aider les organisations de la société civile et les universités à porter des projets, les financer et les mener à terme dans les pays en transition démocratique (Ukraine, Tunisie, Erythrée, Hongrie, Iran, Birmanie). Un grand nombre de projets ont été menés en Ukraine, par exemple la multiplication des accords de coopération entre les universités francaises et les universités ukrainiennes.
En 2015, j'y ai rencontré ma femme après avoir noué de nombreux liens amicaux.
Dans quelles circonstances vous êtes-vous retrouvé à affronter en justice la firme multinationale Lactalis ? Où en est aujourd'hui ce combat ?
En décembre 2017, ma femme et moi découvrons par hasard que notre fille a bu des laits infantiles de la marque Lactalis contaminés à la salmonelle et rappelés par le groupe industriel. Nous sommes de très nombreuses familles concernées avec parfois des enfants hospitalisés et, pour certains, dans un état de santé grave. Dans le même temps, aucune communication du groupe industriel et peu d'informations des services de l'Etat. Choqué par le fait que ma fille d'à peine 6 mois à l'époque ait pu avoir été empoisonnée, j'ai consulte une avocate et porté plainte. Cette plainte sera suivie de centaines d'autres et de découvertes hallucinantes sur les causes de la contamination : l'usine était contaminée depuis plus de dix ans sans que les services de l'Etat n'aient rien vu. Sans compter que de nombreux enfants ont été rendus malades bien avant 2017...
Une instruction est toujours en cours et nous espérons un procès en 2023.
Pour moi, ce combat est déterminant. Comment peut-on continuer à laisser faire ces grands industriels ? À les laisser continuer à nous vendre des produits mauvais pour notre santé ?
Nous devons mettre fin à cette spirale infernale qui conduit à ce que nous achetions des produits ultratransformés et fabriqués dans des conditions inacceptables.
Pour la récente présidentielle, vous avez fait partie de l'équipe dirigeante du Pôle écologiste national en soutien de la candidature de Yannick Jadot. Selon vous, pourquoi celle-ci a-t-elle échoué ?
Oui, j'ai été de ceux qui ont organisé la primaire écologiste, en tant que co-président du Pôle écologiste.
Il me semble que nous avons échoué car nous n'avons pas su imposer l'enjeu écologique dans la campagne présidentielle.
Nous avons aussi manqué de préparation et sûrement de radicalité dans le projet qui était proposé. Nous n'avons pas su construire et proposer un récit du projet de société que nous défendons.
Vous êtes le bras droit de Delphine Batho, la présidente du mouvement Génération Écologie. Comment avez-vous rencontré cette ex-ministre de l'Environnement ? Qu'est-ce qui vous motive à remuer ciel et terre pour promouvoir l'écologie politique ?
Depuis 2018, je cherche à dépasser mes engagements associatifs. J'ai pris conscience de l'enjeu climatique et veux m'investir plus fortement pour essayer de changer les choses.
Militant du PS pendant quelques années, j'en suis parti épuisé à cause des querelles intestines, mais aussi de l'absence de réflexion sur les enjeux actuels : la question internationale et la question climatique en particulier.
Je découvre alors cet article dans le Monde : https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/05/02/delphine-batho-je-quitte-le-ps-sans-regrets_5293122_823448.html
Je suis séduit par les options prônées par Delphine, sa force de caractère et sa volonté de faire les choses en grand, radicalement. Je la rencontre juste avant l'été 2018 et décide de la rejoindre à Génération Ecologie pour porter cette grande cause de l'écologie politique.
Il me semble que nous avons besoin d'une écologie politique qui porte une espérance, loin des travers habituels des partis historiques et qui porte l'ambition demain d'être majoritaire pour enfin s'attaquer à l'essentiel et répondre aux urgences de notre temps.
Ce combat, je le mène avec force car je souhaite, quand je serai âgé, pouvoir regarder ma fille et lui dire que j'ai fait tout mon possible pour lui offrir une vie meilleure et un monde dans lequel elle puisse vivre.
(à suivre)
Interview réalisée par Gérard Leray