Alors que le troisième millénaire a commencé sous de mauvais auspices entre une pandémie et une guerre qui résonne au bout de l’Europe, Christian Laborde nous propose de fouiller dans son Fourbi pour y voir l’essentiel. C’est à dire tout ce qui fait sens à travers les mots, la nature, le vent, la pluie. Tout ce qui nous relie à notre humanité et qui passe par la langue, un regard, un ressenti.
Christian Laborde est un poète. Qu’est-ce un poète en ces temps où la langue se dessèche ? S’il sait manier la rime, un poète, aussi emmerdant soit-il, marche le plus souvent en gueulant contre la connerie et les biens-pensants. Un poète ouvre les horizons et fait entrer la lumière dans les âmes. C’est ce que fait Christian Laborde. Cet ancien prof de lettres a quitté les ordres de l’enseignement pour porter la bonne nouvelle du langage au hasard de ses rencontres.
Dans son Fourbi, il laisse vagabonder son stylo au rythme de ses humeurs, de ses envies. A travers ses mots, il nous invite à regarder autour de nous loin de tout ce qui peut nous distraire. Et tout commence avec ce magnifique texte Le gardien de Magardo. Christian Laborde nous parle d’une période où l’on prenait le temps de regarder la nature, d’écouter, d’admirer, de discuter. L’auteur a ses révoltes qu’il ne manque pas de souligner en gras : « Nature, ma nature, où es-tu, dans quel container t’ont-ils jetée ? Je t’ai cherchée longtemps dans les romans qui, en septembre, paradent dans les librairies. Tu n’es pas dans leurs pages, la ville non plus n’y est pas, et la lumière que leurs auteurs proposent est celle, livide, des halls d’aéroport, criarde, des salles de gym, où des hommes et des femmes transpirent pour oublier qu’ils sont morts. Nature, ma nature, où es-tu ? Relisons les poètes et tu reviendras. Nous serons pleins de force, de sève, nous serons des épées : ils reculeront. »
Sur le chemin de cette balade littéraire, il y a l’amour qui pointe dans le cœur du narrateur avec une certaine : « Adèle Palagrini, A. P., happé par elle, tes seins, Adèle, coupes nivéennes à copeaux d’incendie, chair qui surgit et perfore le tablier des mousses. Adèle Palagrini, A. P., happé par elle, ta nuque, Adèle, toboggan des cheveux, appuie-tête du vent, accoudoir des songes »
Duel sur le volcan
Dans le Fourbi de Christian Laborde, on y trouve également des poèmes comme La consolation de la pluie. On se surprend à rêver et à imaginer le combat entre Jacques Anquetil et Raymond Poulidor dans le Tour de France des années soixante ranimé par un magnifique texte Duel sur le volcan. Mais Christian Laborde, c’est aussi la défense de la langue : « La France est-elle menacée ? La langue française l’est. Elle l’est, non par l’arabe qui lui a offert les mots « zénith », « abricot » et « camaïeu », mais par une invasion de mots anglais. Soyons précis : la langue française est menacée, non par la langue de Shakespeare, de Charles Bukowski ou d’Amy Winehouse, mais par celle de la Silicon Valley, qui divise l’humanité en winners et en losers. » avant d’ajouter : « Atelier, atelier… De poterie, oui. De céramique, oui. Mais d’écriture : je pouffe ! Écrire c’est plonger dans l’océan syllabique. Que proposent-ils dans les ateliers d’écriture ? Des bouées. »
« À quels enfants allons-nous laisser la planète ? »
Devant ce monde envahi par les écrans, Christian Laborde pose la question : « Enfants gavés d’écrans, regardant, non le monde, mais leurs propres visages dans des stocks de selfies, usant des applications, cliquant et recliquant, multipliant les like, comptant, hébétés, leurs amis sur Facebook, prisonniers du factice, otages du simplifié. La question n’est plus seulement : « Quelle planète allons-nous laisser à nos enfants ? », mais, comme l’écrit Jaime Semprun : « À quels enfants allons-nous laisser la planète ? »
Les mots c’est la bouche et dans la bouche, il y a le palais, véritable écrin du langage qu’il ne faut pas perdre car comme le chantait Claude Nougaro : « Il est des bouches oasis tout enchantées de phrases fraîches ». Le même Claude Nougaro, qui affirmait : « Ce ne sont pas les politiques qui font avancer le monde, mais bien les poètes. » Alors, écoutons les poètes. Écoutons et lisons Christian Laborde !
Pascal Hébert
Fourbi, de Christian Laborde. Éditions Héliopoles. 214 pages. 24 €.
Photo Jacques Huissoud