Interview d’Etienne Egret, secrétaire mémoire du Comité du souvenir du camp de Voves.
Monsieur Egret, la rédaction de Cactus.press est honorée de recueillir votre témoignage, à l’heure où l’ombre de la guerre mondiale plane à nouveau sur les têtes. Pour nos lecteurs et lectrices qui ne vous connaissent pas, pouvez-vous vous présenter brièvement ?
Mes parents, grands-parents et arrières grands-parents étaient beaucerons. Ils ont tous exercé un métier en rapport avec le monde agricole. J’ai un frère plus jeune, je suis marié et j’ai trois enfants. Je suis né à Voves, peu avant le début de la Deuxième Guerre mondiale. J’appartiens à cette génération que l’on pourrait qualifier « d’enfants de la guerre ». Nos premières années et toute notre jeunesse ont été « bercées » par les conflits : Deuxième Guerre mondiale, guerre froide, guerre d’Algérie…
J’ai quitté Voves pour raisons scolaires puis j’y suis revenu, quatorze ans plus tard, pour raisons professionnelles. J’ai débuté ma carrière comme ajusteur, avant d’être employé dans des bureaux d’études. J’ai terminé ma carrière en tant que commercial en assurances. J’ai également exercé quatre mandats au sein du conseil municipal de Voves, dont un en tant qu’adjoint.
A priori, rien ne me destinait à m’investir dans la vie associative. Et pourtant, je suis encore actuellement secrétaire mémoire du Comité du souvenir du camp de Voves. J’interviens auprès de différents publics, y compris scolaire, lors de « causeries », de visites et d’expositions relatives à l’histoire du camp. Je suis également impliqué dans plusieurs organisations d’anciens combattants et je rédige des articles pour des journaux associatifs dédiés à leur mémoire. De 2007 à 2024, j’ai participé à la reconstitution historique et artistique lors des cérémonies annuelles du camp. Avec Dominique Philippe, j’ai aussi co-écrit trois ouvrages relatant l’histoire du camp et de ses internés.
Vous êtes actuellement une des mémoires vivantes du camp de Voves. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce lieu de sinistre mémoire en Eure-et-Loir ?
Parler du camp de Voves est une longue histoire… Pour résumer, la commune de Voves a « hébergé » un camp d’internement/camp de concentration destiné à enfermer des hommes politiques et des résistants hostiles au gouvernement de Pétain. Ouvert le 5 janvier 1942, le camp sera liquidé le 9 mai 1944. Au total, 2 030 hommes furent internés pendant cette période. Parmi eux, 64 parvinrent à s’évader au nez et à la barbe de leurs gardiens gendarmes français, tandis que 605 furent finalement déportés vers les camps nazis. Après la guerre, seuls 194 d’entre eux regagneront la France, pays de la Liberté pour lequel ils s’étaient battus. Parmi les évadés, 42 réussirent à s’échapper par un tunnel de 148 mètres de long qui, plus tard, inspirera le film La Grande Evasion avec Steve McQueen.
Avant de devenir un camp de concentration d’opposants politiques en 1942, le camp de Voves était un camp de prisonniers de guerre français. Après mai 1944, il devint un camp de prisonniers de guerre allemands. Créé en 1987 sous l’égide de l’amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé-Aincourt, le Comité du souvenir du camp de Voves ne s’occupe que de la période où le camp était un camp de concentration. Le Comité du souvenir a pour mission principale de « perpétuer la mémoire des anciens internés du camp ». Nous organisons, chaque année, des visites guidées du site ainsi qu’une cérémonie en hommage aux anciens internés, à laquelle participent des scolaires. Cette année, la cérémonie se déroulera le dimanche 18 mai à 9h30, au départ de la mairie de Voves.
Pourriez-vous nous raconter comment la Seconde Guerre mondiale a marqué l'histoire de votre famille, et plus particulièrement celle de votre père ?
Un des frères de mon père avait déjà perdu la vie en octobre 1914, lors de combats dans l’Aisne. Trois autres, plus âgés que lui, n’ont pas été mobilisés lorsque la guerre fut déclarée en 1939. Mon père, en revanche, l’a été dès le début du conflit au sein du 434ème régiment de pionniers. Il a rapidement été envoyé dans le nord de la France avant de revenir dans le Cher, puis de repartir à nouveau pour le Nord, le 3 mai 1940. Le 17 mai, il fut capturé à Pommereuil et envoyé au stalag IV-B près de Dresde, à partir du 26 mai, après un passage par la Belgique. Tombé malade le 25 décembre 1940, il fut « rapatrié sanitaire » le 26 septembre 1941, après plusieurs séjours dans divers hôpitaux.
Mon père, Raymond Egret, fut démobilisé le 30 septembre 1941. Pendant toute cette période, ma mère nous a élevés seule à la maison, avec très peu de ressources. Quant à moi, j’ai passé 22 mois en Algérie, dans une guerre qui ne « dira son nom » que bien des années plus tard. Le statut de combattant-prisonnier de guerre de mon père et ma participation à la guerre d’Algérie nous ont conduits, tous les deux, à militer dans une association d’anciens combattants.
Nous commémorons actuellement les 80 ans de la fin de la seconde guerre mondiale, période ayant marqué le début de la dénazification. Pensez-vous que la dénazification a été efficace en Eure-et-Loir, en France et à l’échelle européenne ?
Dénazification. Grand mot, vaste sujet ! Dans les mois et les années qui ont suivi la Libération, un processus d’épuration s’est mis en place conduisant à… un juste retour des choses. Ce ne sont peut-être pas les bons mots car cette période a également été marquée par des règlements de compte particulièrement regrettables. La priorité était, avant tout, la reconstruction dans tous les domaines. Il fallait tenter d’oublier pour éviter une nouvelle catastrophe, c’était en tout cas le discours de nos dirigeants. De nombreuses familles, profondément marquées par la guerre, devaient se reconstruire moralement après tant de souffrances. La guerre froide suscitait également énormément d’inquiétude.
La dénazification n’a vraiment pas été une tâche facile. Toutes les personnes ou institutions capables de l’entreprendre avaient-elles réellement la volonté et les moyens de la mettre en œuvre, quel que soit le pays concerné ? Si cette démarche avait été davantage expliquée, si ses bienfaits avaient été mieux compris et si elle avait été menée de manière plus approfondie, serions-nous confrontés à la situation actuelle ? Je ne le pense pas. Il est extrêmement inquiétant de constater que nous risquons de revivre, sous une forme différente, les années 1930, prémices au désastre que nous connaissons tous.
Parlons pour finir du présent et de l'avenir. Que pensez-vous du retour d'un certain fascisme en Europe, et plus largement dans le monde occidental ?
André Migdal, ancien interné au camp de Voves, a écrit : « La mémoire est un outil à creuser le passé pour construire l’avenir ». Le fascisme, comme tous les extrêmes, représente un danger. Il est essentiel de nous replonger dans le passé pour réfléchir à l’avenir, et s’efforcer de le préparer au mieux. Évitons de répéter les erreurs du passé, même sous une forme modifiée. Ici, je me répète volontairement car nous savons désormais comment cela se termine. Les mots d’André prennent toute leur importance aujourd’hui…
Propos recueillis par Sylvain Desmaison