« Nous souhaitons alerter les médias sur la situation de la rentrée scolaire 2019-2020. Les collèges et lycées de France viennent en effet de recevoir leur dotation en heures (DHG = dotation horaire globale) pour l’année scolaire 2020-2021, et nous constatons dans notre département de l’Eure-et-Loir une baisse considérable des moyens ; pourquoi en serait-il autrement ailleurs ?

Dans notre collège, classé REP (Réseau d’éducation prioritaire), nous perdons 3 classes. En effet, selon un algorithme qui ne nous a pas été expliqué, soudainement, nos classes limitées à 25 élèves par classe (ce que permet le dispositif REP et que nous trouvons absolument nécessaire pour dispenser un enseignement de qualité) passent à 30 élèves par classe. Nous sommes peut-être trop bêtes pour comprendre ce mode de calcul, mais ce que nous en déduisons, c’est la disparition, sans aucune annonce de la part du rectorat, du dispositif REP pour notre établissement.

Cette dotation nous oblige à choisir entre deux possibilités, qui ne nous satisfont absolument pas :

– Poursuivre les projets et les dispositifs mis en place mais avec des effectifs par classes extrêmement élevés alors que nous sommes en REP. Cela implique aussi des difficultés logistiques et des problèmes de sécurité dans les salles de classe, trop petites pour accueillir ce nombre d’élèves.

– Conserver des effectifs adaptés à la population d’élèves que nous accueillons (maximum 25 par classe) mais supprimer tous les dispositifs mis en place pour la réussite des élèves depuis de nombreuses années (sorties, voyages, projets, aide personnalisée, options LCE, classe cinéma…), car nous aurons utilisé ces moyens pour recréer les trois classes manquantes.

Pourquoi devoir faire un choix au détriment de nos élèves ? Laissez-nous vous présenter nos élèves justement : nous ne le cacherons pas, certains de nos élèves sont difficiles, remuants, voire insolents et certaines heures de cours sont épuisantes. Heureusement que nous n’avons que 25 élèves par classe ! Mais, en vérité, nos élèves, pour la plupart, sont des enfants sympathiques, souvent enthousiasmés par les projets proposés, pour certains méritants et brillants. Notre problème principal est qu’un grand nombre de nos élèves est issu de familles socialement défavorisées, ne parlant pas toujours français à la maison. Beaucoup de nos parents d’élèves ont des horaires contraignants, certains travaillent de nuit, et voient peu leurs enfants. Beaucoup de nos parents d’élèves ne connaissent pas bien les rouages du système scolaire, et mettent du temps à s’adapter aux exigences de l’école, et s’en remettent aux professeurs pour veiller au bon déroulement de la scolarité de leur enfant. Cela a pour conséquence que beaucoup de nos élèves travaillent peu à la maison et ne savent pas travailler seul, car leur parent n’ont pas pu leur apprendre.

Mais tous les parents ont confiance en l’école pour donner un meilleur avenir que le leur à leur enfant… Et c’est là pour nous que le bas blesse: comment donner à nos élèves cette possibilité de croire en leur avenir et de prendre l’ascenseur social quand la politique du gouvernement supprime des moyens déjà bien maigres à nos établissements? On nous demande de toujours faire mieux avec moins, mais nous ne sommes pas des magiciens, et nous nous refusons de voir l’avenir de ces enfants gâché. Nos élèves n’ont que l’école pour leur apporter les bases des connaissances nécessaires à leur futur, pour leur apporter l’ouverture d’esprit et culturelle nécessaire pour en faire des citoyens éclairés et épanouis, des travailleurs motivés. Ils n’ont pas la chance d’avoir une famille qui les aide à faire leurs devoirs, qui les emmène en vacances ou au musée. Comment dans ce cadre-là justifier une politique qui maintient clairement ces enfants dans la pauvreté et la misère sociale en diminuant chaque année la qualité de leur école ?

On nous dit qu’il n’y a plus d’argent. Mais lorsqu’il s’agit de faire de la communication et de débloquer des moyens pour le « numérique », l’argent arrive comme par miracle. Nous avons alerté le rectorat sur notre situation qui nous a octroyé 10h de plus (ce qui pour nous est bien trop insuffisant), pourquoi ne pas nous les avoir donné dès le départ ? Nous sommes obligés d’aller quémander des heures, de faire pression pour obtenir des heures qu’ils peuvent encore nous donner. Ce n’est vraiment pas normal. Si nous n’étions pas des personnes passionnées par notre métier et des citoyens engagés, si nous n’avions alerté personne et étions restés à notre place de gentils fonctionnaires, l’avenir de beaucoup de nos élèves serait compromis, les conditions de travail pour l’année à venir clairement dégradées. Il n’est pas normal d’avoir à se battre là-dessus.

Nous avons fait une demande d’audience à l’Inspection Académique pour leur faire part de notre grande inquiétude et demander des moyens supplémentaires. Nous envisageons dès à présent d’autres actions (journée collège mort, grève) si l’audience n’aboutit pas à une augmentation de la dotation. M. Blanquer persiste et signe pour dire (notamment sur France Inter dimanche 19 janvier) qu’il n’y a que quelques professeurs radicaux qui s’opposent à sa politique. Mais cela est faux. La majorité des collègues de notre équipe est prête à faire grève contre le manque de moyen, les collègues des lycées expriment dans leur majorité une grande souffrance face à la réforme. Le ministre dit vouloir nous aider car les professeurs sont « au plus près des réalités » (France culture). Il dit que « l’écoute est indispensable ». Comment le gouvernement ose-t-il proférer de tels propos, parler d’école de la confiance, d’école de l’égalité, et agir dans l’ombre en supprimant des moyens encore et encore. Nous contactons les médias pour :

– Alerter les journalistes de l’hypocrisie du gouvernement, et permettre à un véritable contre-pouvoir des médias de se mettre en place,

– Alerter les parents d’élèves sur la grave dégradation des conditions d’enseignement pour leurs enfants,

– Alerter les citoyens sur le discours mensonger du gouvernement et le choix de ce gouvernement de maintenir les classes sociales défavorisées dans leur misère sociale, au profit d’autres intérêts financiers.

Nous sommes prêts à vous recevoir dans notre établissement ou à nous déplacer pour vous donner de plus amples détails sur notre situation. Nous restons à votre disposition, et vous remercions d’avoir pris le temps de nous lire. Veuillez agréer, Madame, Monsieur, l’expression de nos salutations distinguées. »

Les professeurs en colère du collège Jean-Macé à Mainvilliers