Cette lettre ouverte est une réponse libre à la publication, le 4 novembre 2019, par le groupe de presse Centre France, qui comprend huit quotidiens, dont « L’Echo Républicain », d’une charte garantissant l’égalité républicaine des candidats aux élections municipales des 15 et 22 mars 2020.

« Chers journalistes,

A lire votre déclaration, on pense en premier lieu : « Chiche ! ». Puis on se reprend : votre métier compte parmi les plus difficiles dans ce monde dévoré par le libéralisme sans âme. Alors, voyons de plus près.

En huit articles, vous déclinez des principes impeccables : « stricte impartialité » et « indépendance » des correspondants, « respect de l’équité », intérêt égal envers toutes les communes, pas de sondages locaux, qui seraient susceptibles d’influencer le vote.

Que vous mettiez dans l’embarras (ou en colère) les caciques enracinés qui comptaient sur vous comme sur des plumitifs à leur solde fait naître un espoir sans pareil. Vous ouvrez l’horizon aux listes nouvelles décidées à s’émanciper des appareils partisans, et aux citoyens eux-mêmes, vos lecteurs potentiels, jusqu’ici écoeurés d’être pris pour des moutons de Panurge par des quotidiens vidés de toute substance au profit de la propagande.

Reste à savoir si votre marge de manœuvre est réelle. Tout dépend des intentions qui ont fait émerger cette charte. Ce Groupe Centre France, dont on peut lire sur son site qu’il réunit 550 journalistes, dans 16 départements, tirant à 330 000 exemplaires quotidiens, peut-il, par ce coup d’éclat, ne pas ambitionner de faire revenir des lecteurs, peut-être des abonnés ? La concurrence numérique est rude, et le public a tourné le dos à une presse régionale qui avait baissé les bras depuis une vingtaine d’années. On est heureux à l’idée qu’elle renaisse, ce ne sera que pour vivifier la démocratie.

Quoi qu’il en soit, on ne saurait trop vous exprimer de la gratitude pour quelques aveux déterminants, eux, pour l’avenir de ladite démocratie. Ainsi, vous annoncez que vous serez vigilants vis-à-vis des « candidats prête-nom », reconnaissant par là-même que cela existe (on peut vous faire confiance, à vous qui connaissez tout le monde). Vous dites aussi : « Nous ne serons pas la boîte aux lettres des candidats et des partis » : c’est donc une fonction qui vous a été infligée dans le passé, à votre corps défendant. Ceci encore : « Nous serons attentifs dans le traitement des événements qui pourraient être surexploités par des élus sortants et des candidats à des fins de campagne (cérémonie de vœux, inaugurations, réunions publiques) ». C’est donc reconnu et formulé publiquement : certains édiles utilisent le journal local à leurs fins personnelles de pouvoir.

Les patrons de presse dépeints par Balzac n’en reviendraient pas : un groupe de journalistes pourrait mettre à mal les liaisons délétères entre presse et politicards. Le proche avenir dira si cette déclaration solennelle était un coup de com’ ou une rupture authentique en faveur d’un renouvellement du pouvoir municipal un peu partout. On vous lira. Rendez-vous pour le bilan au printemps.

Citoyennement vôtre, »

Chantal Vinet