À la faveur d’un séjour estival grenoblois, 200 mètres d’altitude, au pied des massifs de Belledonne, de la Chartreuse et du Vercors, Olivier Bertrand, conseiller municipal de la majorité écologiste, président du service de distribution de l’eau et conseiller départemental d’opposition, m’a accordé un entretien de 90 minutes le mardi 18 août 2020.

Au lendemain de nombreuses victoires écologistes dans de grandes villes, je souhaitais surtout qu’il m’expose comment son mouvement avait réussi à être pionnier en remportant la mairie de Grenoble, préfecture de l’Isère (160 000 habitants) dès 2014.

L’élu débute par un portrait sociologique d’une ville particulière : traditionnellement ouvrière, la ville s’est peuplée à partir des années 1960 d’universitaires et d’ingénieurs (Grenoble accueille notamment l’accélérateur de particules du CERN). 50% des quartiers de la ville sont néanmoins restés populaires et un tiers des enfants vivent sous le seuil de pauvreté ! La taille réduite du territoire communal instaure naturellement une forte mixité de population. Enfin, l’électorat se renouvelle rapidement, seuls 25% des habitants étant natifs de Grenoble.

L’histoire politique locale se résume depuis l’après-guerre à un conseil socialiste doublé en périphérie d’une traditionnelle « ceinture rouge » de municipalités communistes. Les années 80 et la décentralisation ont ensuite favorisé une parenthèse de droite libérale, gestion « bling-bling » et abandon des préoccupations quotidiennes et de proximité, incarnée par Alain Carignon qui ne put terminer son deuxième mandat puisqu’il fut incarcéré en 1994 pour une durée de quatre ans. En effet, les charges d’enrichissement personnel et de corruption étaient doublées d’actes de subornation et d’intimidation de témoins. Ces faits d’armes n’ont pas empêché la droite locale de faire à nouveau de ce malfaiteur sa tête de liste du scrutin de 2020… !

Le PS reprend alors le pouvoir local en 1995 derrière Michel Destot, majorité à laquelle participent déjà quelques écologistes dont Raymond Avrillier, militant depuis les années 70 et élu d’opposition sous Carignon qui oeuvra cinq ans durant pour le faire tomber pour ses malversations.

Après deux mandats aux côtés du PS majoritaire, le mouvement écologiste et citoyen, s’appuyant également sur des associations de terrain, dont notamment l’ADES (Association Démocratie Écologie et Solidarités), obtient 22% des suffrages au second tour et siège dans l’opposition au PS qui soutient de « grands projets », tels qu’un grand stade et une rocade autoroutière creusée sous les contreforts de la Chartreuse. Cette dernière ne se fera jamais.

Parallèlement, les élections départementales (cantonales, à l’époque) de 2004 et 2011 permettent les premières victoires écologistes, notamment face au PS. Débarqué de son poste d’ingénieur de direction chez Hewlett-Packard, car il refusait de mettre en œuvre les pans de licenciements imposés par la firme américaine, Eric Piolle s’engage auprès d’Europe-Écologie-Les Verts (EELV), puis prend la tête du groupe écologiste au conseil régional Rhône-Alpes. Il est également candidat aux législatives de 2012 et débute à cette occasion le travail de terrain qui contribuera à la victoire de 2014 du projet et de la liste écologiste. À contre-courant d’une culture participative qui caractérise souvent les organisations écologistes, le mouvement grenoblois a en effet décidé qu’il est important que le projet soit très tôt clairement incarné auprès de l’électorat.

Présence continue et autonome lors des précédentes échéances électorales, travail continu avec les associations citoyennes et les mouvements de contestation contre des projets spécifiques, émergence de personnalités fortes incarnant la proposition écolo et absence de compromis avec les partis historiques de gauche ont été à Grenoble les ingrédients de cette première victoire en 2014.

Encore fallait-il ensuite confirmer la tendance en 2020 afin de poursuivre le grand projet de transformation commencé. Un survol rapide permet au moins de retenir trois éléments qui ont permis à l’équipe sortant de recueillir à nouveau la confiance des électeurs :

Le sens des responsabilités : face à une situation financière délicate (taux d’imposition le plus élevé de France, niveau de dette au maximum) les élus ont réduit leur « train de vie » (suppression des voitures avec chauffeurs et de nombreux postes de direction, baisse des indemnités) et ont su abandonner des projets au gré de la définition des nouvelles priorités d’action municipale,
La proximité : les nouveaux élus, souvent à vélo, sont toujours restés visibles et accessibles au quotidien dans tous les quartiers,
L’opiniâtreté : malgré la défiance de certains milieux au début du mandat et les résistances à la mise en œuvre de certains éléments du programme, les projets n’ont pas été affaiblis pour ménager un potentiel électorat. Ainsi la redistribution radicale de l’espace public au profit du vélo et des transports en commun dissuadant l’usage de la voiture particulière a été menée avec les riverains mais sans jamais réduire l’objectif final. L’amélioration des offres alternatives à la voiture a ainsi été telle que de nombreux sceptiques se sont laissé convaincre par la réalité.

Comparaison n’est pas raison, Chartres n’est pas Grenoble, mais cette chronique d’une victoire inédite d’un projet municipal écologiste pourra inspirer Chartres Écologie pour incarner à l’avenir les défis environnementaux que devrait déjà relever notre ville.

Jean-François Bridet