Lors du conseil municipal de Chartres du 21 mars 2024, les "hostilités" ont rapidement débuté à l’occasion d’un débat autour de l’usage du nom de l’ex-préfet d’Eure-et-Loir, figure historique de la Résistance.
Je vous livre les paroles qui m’ont valu d’être accusé par le maire de salir la mémoire de Jean Moulin, quand lui veut la rentabiliser :
"Loin du panthéon grec dont j’ignore quasiment tout, ma mythologie intime prend plutôt racine dans la clairvoyance, le courage et les souffrances des femmes et des hommes qui ont forgé l’histoire de la Résistance française. A ce titre, et comme les autres élus de Chartres Ecologie, je porte un immense respect pour l’exemple humain et républicain donné par Jean Moulin. C’est pourquoi me revient la tâche délicate d’expliquer notre abstention pour cette curieuse délibération.
Il est évidemment une figure majeure dont le destin a pris un tournant historique lors de son séjour chartrain. Mais parce que le diable est dans les détails, c’est justement ce grand respect qui nous rend réticents face à une forme d’accaparement qui apparaît dans le contenu de la convention où il est expliqué que la ville de Chartres serait seule fondée et qualifiée pour délivrer ce label à toute autre collectivité candidate.
Je cite en effet un extrait de l’article 2 de ladite convention : « Ce droit ne bénéficie qu’à la ville de Chartres. Cette dernière, en lien avec l’association créée spécifiquement pour la mise en place et l’encadrement de ce réseau, pourra néanmoins attribuer le label aux villes où Jean Moulin a laissé une trace. Les ayants-droits autorisent expressément la ville à déposer la Marque dans le cadre du label précité. »
Comment voter pour que le nom de Jean Moulin devienne une marque, une démarche imaginée « dans le cadre du développement culturel et patrimonial de la ville » ? Quel droit supérieur pouvons-nous nous arroger sur les villes de Béziers, Montpellier, Chambéry, Albertville, Châteaulin, Thonon-les-Bains, Amiens, Rodez, Saint-Andiol, Londres, Lyon, Caluire et, enfin, Metz qui ont aussi été le décor de la courte existence, de l’engagement, puis du sacrifice de Jean Moulin ?
Jean Moulin a séjourné à Chartres du 21 février 1939 au 15 novembre 1940. Il y sauva l'Honneur de la République en refusant d'abandonner son poste en juin 1940 quand tous, je dis bien TOUS, les autres responsables du cru s'étaient carapatés, dont le maire de Chartres, l'évêque, les pompiers, etc, puis en refusant le 17 juin 1940, malgré la torture, de signer un texte infamant accusant les soldats africains de l'armée française d'avoir massacré des civils, en réalité victimes des bombes allemandes.
Ces deux refus témoignent de la grandeur universelle qu'une seule Ville ne peut pas, ne doit pas accaparer. Jean Moulin, homme libre, ne peut pas appartenir seulement à Chartres !
Cette arrogante revendication reste dans cette logique que nous rejetons de la concurrence territoriale appliquée à tous les domaines : compétition sportive, économique, touristique et maintenant mémorielle !
Nous nous méfions aussi de cette inflation commémorative qui n’échappe pas aux contradictions. Je pense notamment à la cérémonie des 80 ans de la création du Conseil National de la Résistance il y a un peu moins d’un an à Chartres. On a vu s’y recueillir des parlementaires qui venaient de voter la loi sur les retraites qui participe à la ruine de l’édifice social construit par ce même Conseil National de la Résistance dans le cadre du programme « les jours heureux » imaginé aux heures les plus noires de l’occupation nazie !
La mémoire ne se confisque pas et le meilleur hommage à rendre à Jean Moulin, c’est de résister à notre tour contre, par exemple, la montée des extrêmes-droites européennes, l’autoritarisme grandissant, l’extractivisme mortifère ou encore le déni climatique."
Interminable et assez éprouvante, la séance ne m’a pas permis d’en rédiger le récit en direct, merci de patienter quelques jours : le filet d’âneries et de bassesses est très lourd à remonter !
Jean-François Bridet, conseiller municipal Chartres Écologie