Ce soir-là, c’était je m’en souviens le 15 juillet 1942. Après le dîner. Mes parents ne nous ont pas, ma sœur et moi, envoyés au lit comme tous les soirs après le dîner.

Ce soir-là, c’était je m’en souviens le 15 juillet 1942. Nos parents nous ont demandé de rester à table parce qu’ils avaient quelque chose de très important à nous dire. A ma sœur et moi.

Ce soir-là, c’était je m’en souviens le 15 juillet 1942. Mon père nous a dit, à ma sœur et à moi :

"Demain peut-être, on frappera à la porte. Et nous ne pourrons rien faire d’autre qu’ouvrir la porte, il y aura des policiers derrière la porte et ils seront là pour nous arrêter tous. Alors, nous ferons des paquets du peu que nous possédons et nous les suivrons. Mais ce que nous avons de plus précieux, ça ils ne pourront pas nous le prendre. Parce que vous serez cachés. Et vous ne ferez aucun bruit tout le temps que les policiers fouilleront la maison. Et vous attendrez longtemps encore après qu’ils soient partis, pour être bien sûr qu’ils soient bien partis. Quand vous serez bien sûrs qu’ils soient partis, tout doucement, en faisant bien attention de ne pas vous faire entendre, ni voir, vous sortirez de votre cachette. Et vous resterez au milieu de la salle à manger, là où nous sommes réunis ce soir, peut-être pour la dernière fois. Là, vous attendrez la concierge, cette femme sera votre sauveur."

C’est ce que notre père a dit ce soir-là, à ma sœur et à moi. C’était je m’en souviens le 15 juillet 1942. Et notre mère a ajouté que nous nous retrouverions plus tard.

Après nous sommes allés nous coucher, dans le lit que je partageais avec ma sœur, je lui ai demandé si elle croyait qu’ils viendraient demain. Et elle a dit qu’elle n’en savait rien et que je devais dormir.

Le lendemain matin, c’était je m’en souviens le 16 juillet 1942, j’ai été tiré de mon sommeil par des coups qu’on frappait à la porte. Ma mère est arrivée dans notre chambre et elle nous a dit que c’était arrivé et que nous devions faire comme notre père avait dit la veille à ma sœur et à moi.

Après, je ne sais pas ce qui s’est passé. Parce que nous étions enfermés dans notre cachette, ma sœur et moi. Quand nous n’avons plus entendu de bruit, nous sommes encore restés longtemps dans notre cachette, comme notre père nous l’avait commandé la veille de ce matin-là, à ma sœur et moi.

Ça n’est qu’au soir, presque à la nuit tombée que la concierge est venue nous délivrer. "Faites bien attention à ne pas faire de bruit dans les escaliers. Vous allez dormir à la loge et demain quelqu’un viendra vous chercher."

C’était je m’en souviens le 16 juillet 1942.

Philippe Lipchitz
Nuit de juillet - La rafle du Vel d'hiv (recueil de nouvelles). Récit fictif.