Retour sur le rassemblement du 27 janvier 2025. La première rencontre d’opposants sur l’un des champs impactés par le tracé de l’A 154 a le mérite, au-delà du réconfort que procurent les présences et les discours qui respirent le sens, de la découverte d’un paysage.

Que connaissons-nous de cette terre du Gorget et alentour, du travail qu’y accomplissent les paysans ? A 154/A120. Comment est-ce possible ? Il paraît que les panneaux directionnels sont déjà posés ! Mais revenons aux terres : y marcher en s’enfonçant dans la boue en plein vent, sous les lourdes averses est un exercice, et l’on se prend à éprouver de la gratitude en longeant un bois survivant qui met à l’abri - si les lieux devaient être bitumés, ils ne seraient plus rien (autoroute : no man’s land, vie interdite). Pourquoi l’État programme-t-il cet équipement alors que son parallèle existe (A128), quand tout prouve qu’il faut préserver la terre fertile ?

A bas bruit

Cependant que le gouvernement trouve tout trop cher, l’éducation, la santé, le service public, que l’on nous rebat les oreilles avec le déficit, les autorités, il faut le croire, ont trouvé un filon d’argent magique pour ce projet vieux de soixante ans redéterré par les élus actuels de l’agglomération chartraine, drouaise, départementale, CONTRE les intérêts de ceux-mêmes qui se déplacent quotidiennement entre ces deux villes ; cela a déjà été démontré.

L’omerta est totale : avez-vous eu vent de la moindre réunion publique, qui serait un minimum de concertation démocratique, mots dont se gargarisent les plus cyniques des décideurs ? Si ces élus, à la fois demandeurs et décisionnaires, étaient fiers de leurs intentions, ils l’auraient claironné. Non, le préfet fait mine de s’étonner du récent carottage effectué à la demande du bétonneur Vinci sur les champs de Maximilien Vangeon sans lui en demander l’obligatoire permission. Signe que nous entrons dans une ère de discret coup de force, déjà subie avec l’A 69. Dans le livre d’Inès Léraud sur le remembrement, Champs de bataille, l’enquête historique rapporte la même intrusion hypocrite des autorités : dans les années quarante et cinquante, les géomètres sont entrés massivement dans les terres pour les mettre en coupe réglée, alors même que les fermiers étaient tenus au silence et dans l’ignorance de ce qui se préparait.

Le préalable des aménagements toxiques, c’est toujours l’arrogance de ceux qui ont pourtant fait assaut de séduction pour se faire élire.

Ce qui se prépare

Pour le comprendre, il suffit de regarder les vastes entrepôts qui ont essaimé partout le long des autoroutes et de leurs raccordements, l’urbanisme laid et utilitariste : affolants alignements de hangars remplis de marchandises… qu’il faut acheminer. Donc les nouvelles routes secondaires, les norias de camions, les nuisances causées à des riverains atterrés, le diesel qui coulera toujours, Total qui fore, fore, fore en Ouganda, au Congo, au Surinam, en Irak et même en Bulgarie. CO2 et température vont continuer de monter. Quant à l’eau et aux autres ressources vitales, les mêmes qui se prétendent des êtres responsables tournent le dos et se bouchent les oreilles, s’acharnant à répandre la haine du scientifique ou de l’élu d’opposition lanceur d’alerte.

Qu’on se souvienne qu’il y a vingt-cinq ans les mêmes, ou leurs prédécesseurs, appelaient de leurs vœux un aéroport dans la plaine de Beauvilliers.  J-P Gorges a cela a son passif, il était déjà là, et il a été désavoué. Songeons un instant à ce que serait la vie aujourd’hui en Eure-et-Loir, aux terres sacrifiées (3 450 hectares), qui furent sauvées par un trait de plume dû à éclair de lucidité, résultant lui-même des arguments et de l’action d’opposants mobilisés.

Ce que nous pourrions substituer à ce saccage…

L’existant, déjà : production de céréales et de légumineuses, vente aux particuliers à la ferme, avec le tissu social qui en résulte. C’est là que se trouve le gisement d’emplois, dans un domaine agricole qui serait plus sain et plus prospère avec plus de bras, et non dans l’aménagement brutal préconisé par des élus incapables de défendre le bien-fondé de leurs options. Chez une paysanne amie (elle aussi touchée par ce projet d’autoroute), la semaine dernière, des bénévoles ont aidé à la plantation de haies - il en coûte cependant beaucoup financièrement à la cultivatrice, réduite comme tous les exploitants en bio à l’abandon économique par décision politique française. Au rebours de ce qui se concocte en ce moment dans les fauteuils sénatoriaux, retour au maximum de chimie qui achèverait de tuer les pollinisateurs, il faut désormais réhabiliter des pratiques qui altèrent le moins possible la nature et le vivant, qui le rendent toujours au centuple.

Les usagers actuels de la route reliant Dreux et Chartres seront les perdants de premier plan si cette autoroute, qui privatise la voie de circulation, se construit. Beaucoup mieux pourrait être fait : rétablir le rail serait plus économique collectivement, dans l’immédiat et pour l’avenir, pour le portefeuille, pour les nerfs et pour l’environnement. Usagers réguliers et occasionnels se trouveraient favorisés. A nous tous de lutter, et de rejoindre le beau collectif qui s’est constitué, peuplé de victimes conscientes, de gens informés, venus de tous bords, géographiques, professionnels et politiques. Certains ne le savent pas encore, mais on saura le leur faire savoir : leur maison, leur entreprise pourraient être englouties par le tracé avide, ce que l’administration laisse dans un flou opportuniste. Il est temps, il est grand temps - comme pour le climat et les ressources.

Chantal Vinet