En juillet 2021, en découvrant le tableau Fjäll d’Anna Bobeg lors d’une visite au musée d’Art moderne, Sophie Van DerLinden décide de se lancer sur les traces de la peintre suédoise. Émue par le travail de cette artiste d’un autre siècle et certainement interpellée par son parcours, la romancière s’est mise dans la peau d’une femme peintre en cette fin du 19 et début 20e siècle.

Avec Arctique solaire, Sophie Van Der Linden nous invite à un voyage dans le temps et l’espace pour rejoindre le temple de la création et des doutes. Une création qui passe par l’impressionnisme et son pape Claude Monet. Si le peintre de la série des nymphéas a été aimanté par la nature et notamment son magnifique jardin, Anna Boberg, connue sous le nom de Anna Katarina Scholander, a été de son côté fascinée par les îles Lofoten au début du vingtième siècle. A l’instar de son maître, Anna Boberg a passé 33 années de sa vie et notamment en plein hiver à traquer la lumière dans laquelle se baignent les glaciers, l’océan et bien sûr le soleil de minuit.

Composé comme une lettre destinée à son mari, le célèbre architecte suédois Ferdinand Boberg, le roman de Sophie Van Der Linden nous fait entrer dans l’intimité d’une créatrice à la recherche du Graal. Ce fameux rayonnement qui fera la différence avec tout ce qui existe dans le domaine de la peinture. Malgré l’hostilité de la météo, Anna Boberg s’est acharnée à chercher cette lumière indéfinissable que seul l’art pictural peut reproduire. La romancière nous emmène dans le quotidien difficile de cette femme au milieu du blanc, de nulle part, bravant les éléments et la solitude.

Avec une écriture impressionniste, Sophie Van Der Linden nous ouvre les portes du monde de la peinture difficile d’accès pour les femmes de ces siècles passés. Peu nombreuses et plus souvent devant la toile comme modèle que derrière avec la palette, elles ont dû montrer une foi inébranlable pour se faire reconnaître voire accepter par les hommes.

Parfois dans le doute et souvent dans sa quête, Anna Boberg a laissé son pinceau se perdre dans les nuances dublanc. Entre la toile aveugle et le poêle sourd, l’artiste suédoise, via sa confidente, en profite pour tirer un bilan de sa vie qu’elle adresse à son mari : « La douleur de n’avoir pu enfanter reste vive. Nous en parlons peu. Et quel sens cela aurait-il  à présent que nous avons l’âge d’être grands-parents ? Peut-être que cela en a d’autant plus. Pas d’héritier, pas d’héritage. Une postérité, malgré tout. Surtout pour toi, qui as construit des bâtiments qui tiendront encore debout dans plusieurs siècles. Mes toiles dureront-elles aussi longtemps ? Pas tant que je serai privée de reconnaissance critique. Pas tant que je serai engluée dans ce temps mou où je ne sais que peindre, que faire, pour calmer mon inutile agitation. »

Arctique solaire est également un hymne au sens de l’inutilité qui pousse les créateurs à donner le meilleur d’eux-mêmes.

Pascal Hébert

Arctique solaire, de Sophie Van Der Linden, éditions Denoël, 120 pages, 15 euros.

Photo : Eric Garault