Cet extrait de rapport de police, conservé aux Archives départementales d’Eure-et-Loir, relate la visite effectuée par Charles de Gaulle, président du Gouvernement provisoire de la république française, à Chartres le 23 août 1944, sur la route de Paris en passe d’être libéré de l’occupation allemande. Il a été rédigé per Maurice Verney*, commissaire de police spécial, responsable du service des Renseignements généraux d’Eure-et-Loir.
« Sûreté nationale. Commissariat spécial de Chartres, Chartres le 26 août 1944.
Le commissaire spécial à Monsieur le Secrétaire général pour la police à Orléans.
Objet : rapport d’ensemble sur les journées du 15 au 25 août 1944.
J’ai l’honneur de vous adresser un rapport d’ensemble sur les principaux événements survenus du 15 au 25 août 1944, journées au cours desquelles le département d’Eure-et-Loir a été libéré de la tutelle allemande. (…) Le 23 août, la ville de Chartres a eu l’honneur de recevoir le général de Gaulle.
Dès avant-midi, une foule compacte se masse place des Épars, sur la place Sainte-Foy et sur la place Collin d’Harleville, face à la préfecture. On se presse aux balcons, aux fenêtres, sur les toits, dans les arbres et devant les immeubles décorés des drapeaux français et alliés.
La voiture du général de Gaulle, précédée d’estafettes motocyclistes de la police nationale et accompagnée de sa suite, arrive place des Épars à 14 heures. Vêtu d’une tenue kaki, le Général de Gaulle en descend, ovationné par des milliers de personnes. En compagnie du colonel de Rancourt et de ses officiers d’ordonnance, il passe à pied le boulevard Sainte-Foy et gagne sous les acclamations répétées l’hôtel de la préfecture, dont il franchit les portes à 14h10.
Massés dans la cour d’honneur, les troupes indigènes et les hommes du FFI, sous les ordres du commandant Sinclair, s’immobilisent dans un impeccable grade-à-vous. M. Chadel, préfet d’Eure-et-Loir, s’est porté au devant du général que la foule ne cesse d’acclamer. Après l’offre par une fillette d’une gerbe tricolore, ce sont les présentations officielles. Parmi les personnalités, on note le général Valin et son chef d’état-major, le général Gaujour, l’amiral d’Argenlieu, commandant les forces navales françaises en Grand-Bretagne, l’officier américain commandant la place de Chartres, MM. Le Trocquer, Viollette, président du conseil général et nouveau maire de Dreux, Triballet, député, le docteur Haye, maire de Chartres, Rocques, sous-préfet de Dreux, monseigneur Harscouët, évêque de Chartres, Chassin, chef de cabinet, M. Beaudet-Germain, secrétaire général de préfecture, etc. Pour chacun, le général de Gaulle a un mot aimable. Il salue les glorieux défenseurs de Chartres et s’incline devant les drapeaux et la délégation des Anciens combattants de 1914-1918.
Tandis qu’opèrent cinéastes et photographes français et américains, les autorités gagnent le cabinet de M. le préfet. Le général de Gaulle, après s’être entretenu quelques instants avec M. Chadel, se dirige vers le clos Saint-Jean (aujourd’hui parc André-Gagnon), où il arrive à 14h45. Accompagné de M. le préfet, il s’incline devant les tombes des civils et des FFI tués, puis il gagne la cathédrale où est entonné un Magnificat.
A 14h55, il se dirige vers l’hôtel des PTT, salué par une chaleureuse ovation. De la tribune installée sur le perron de l’édifice, le général prononce une allocution. Très simplement, il dit combien l’émeut l’accueil de Chartres libéré, de Chartres sur le chemin de Paris, c’est-à-dire sur le chemin de la victoire. Il sait quels sont les sentiments de tous les fils et filles de France, enfants dévoués d’une même patrie que nous voulons libre, forte et grande. Mais la guerre n’est pas terminée. Il faut que l’ennemi qui a outragé notre sol soit châtié et mis pour toujours hors d’état de nuire. Nous y parviendrons avec le concours de nos alliés et de nos armées venues de l’empire ou jaillies du sol national.
Ce bref discours est haché d’applaudissements. En terminant, le général de Gaulle convie l’assistance à chanter la Marseillaise. Accompagnée par les fanfares locales, la foule exécute avec enthousiasme notre hymne national. Puis, toujours salué par des acclamations, le général, protégé par le service d’ordre, remonte en voiture et regagne la préfecture.
Un déjeuner servi à 15h10 suit cette manifestation à l’issue duquel M. Maurice Viollette prononce un toast aux alliés et au général de Gaulle après avoir invoqué la mémoire de Marceau, enfant du département. À 17 heures, le général s’entretient longuement avec M. le préfet et les différents chefs de service, ainsi qu’avec le Conseil départemental de la Résistance. Les conseils municipaux, la situation militaire et politique sont successivement l’objet de ces entretiens attentifs.
À 18 heures 30, le chef du Gouvernement, accompagné de M. Le Trocquer, de M. le préfet et de M. le secrétaire général, prenait la direction de Rambouillet libéré. Le service d’ordre était dirigé par M. Devynck**, commissaire divisionnaire. Les inspecteurs de son service et les effectifs du commissariat de la ville de Chartres placés sous mon autorité y participaient. Il n’y a eu aucun incident. »
*Maurice Verney (1912-1987), est un homme controversé. Il assura pendant les douze derniers jours d’août 1944 les fonctions de commissaire de police spécial à Chartres. C’est lui qui, le 20 août, auditionna Simone Touseau, dite la tondue de Chartres, soupçonnée avec sa mère d’avoir, en février 1943, dénoncé des voisins à la police de sécurité allemande (SIPO-SD). Début septembre, Verney bénéficia d’une mutation-promotion à la préfecture d’Orléans comme chef de cabinet du secrétaire général pour la police (le présent rapport y a largement contribué). Il fut ensuite rattrapé par son passé. En effet, pendant l’Occupation, en tant qu’inspecteur des RG, il avait été sous les ordres du préfet collaborationniste Pierre Le Baube et avait participé à la traque, à l’arrestation et à l’interrogatoire dans la prison de la rue des Lisses de résistants FTP (cf. les affaires des trente et un fusillés du Mont-Valérien du 30 mars 1944 et Sadorge-Fermine). Quand il apprit qu’un mandat d’internement avait été délivré contre lui, il prit la fuite. Interpellé en mars 1945 à Paris, il passa en jugement devant la cour de justice d’Orléans en même temps que son ancien mentor. Condamné le 12 septembre 1945 à un an de prison et cinq ans d’indignité nationale, il bénéficia ensuite d’une remise de peine, puis d’une amnistie en octobre 1951.
**Henri Devynck (né en 1897), commissaire divisionnaire et chef de la 5ème brigade mobile de police d’Orléans, est lui aussi controversé. Ce même 12 septembre 1945, il fut condamné pour intelligence avec l’ennemi aux travaux forcés à perpétuité.
Gérard Leray