Il faut lire Christian Bobin. C’est de la poésie comme on n’en lit plus. Il faut lire Christian Bobin pour le plaisir des mots : « J’entends toujours le bruit des sabots sur le pavé des mots. ». Sa pensée est si bien servie par une kyrielle de phrases scintillantes. Ce qu’écrit Bobin est beau. Tout comme une musique arrachée au néant par le pianiste Sokolov. Le murmure, son livre posthume, est d’une intensité si rare.

La poésie n’est plus à la mode. Et pourtant, elle demeure vitale pour notre salut. Christian Bobin l’a bien compris. Lui qui n’a jamais cédé à la facilité pour nous présenter ses pensées sous une forme poétique. Si la mort a toujours fait partie de ses préoccupations, c’est à proximité de la camarde qu’il touche du doigt le sacré.

Commencé dans son bureau, c’est sur le lit d’un hôpital qu’il jette ses dernières forces pour achever Le murmure. Une dernière bataille avant de mettre un point final à son dernier texte et à sa vie le 23 novembre 2022. C’est dans cette urgence que Christian Bobin nous livre ses ultimes pensées sur les hommes et leur condition : « Nous attendons notre vie à attendre quelque chose de mieux que notre vie. Nous passons, nous passons. Nous suivons le long bec de notre pensée en espérant qu’elle nous mènera loin d’ici. »

Christian Bobin consacre également plusieurs chapitres aux mères et leur influence sur la vie de leur enfant. Que ce soit pour Rimbaud ou lui-même : « Je n’ai pas souvenir d’avoir été un jour bercé et ce manque m’a ouvert le royaume de la lecture et celui de l’écriture, les deux grandes forces du monde. » Il ne manque pas non plus de leur rendre un bel hommage : « Demandez aux mères, quand elles chantent au-dessus de l’abîme de l’enfant une chanson si précise qu’elle n’a même pas besoin de mots. »

L’homme reste toujours au centre des préoccupations de Bobin annonçant : « Les yeux d’un homme qui pense se plissent dans l’extrémité de l’étang du regard, là où bruissent les roseaux d’un songe. » avant de rappeler que « Nos rêves informulés ne nous quittent jamais. » Dans ce récit d’une belle clarté, Christian Bobin philosophe : « Tout en moi est divin. J’entends par « divin » la vie humaine, rien qu’humaine, délivrée d’elle-même. » Rattrapé par la faucheuse, il ne manque pas de dire : « Mon chant sera court. La fin du monde va vite, il me faut aller plus vite encore et la doubler, faire s’ouvrir sur la page ce qui s’appelle une âme la tienne. »

Christian Bobin est mort mais souvenons-nous :
Un poète ça vit très très longtemps
C'est que les mots c'est bien changeant
S'ils sont dits au passé ou au présent
Un poète ça vit très très longtemps

Pascal Hébert

Le murmure, de Christian Bobin. Éditions Gallimard. 128 pages. 17 €.

Photo Francesca Mantovani