Une belle idée, mais un immense gâchis

Depuis quelques jours, dans toutes les librairies, L’Eure-et-Loir en guerre propose en un peu plus de 400 pages de retracer la mémoire de la Seconde Guerre mondiale dans les communes d’Eure-et-Loir. Une belle idée au départ, propulsée par le sénateur Albéric de Montgolfier, avec l’expertise d’Albert Hude, le président du Centre d’études et de documentation sur la Résistance en Eure-et-Loir (CEDREL).

Une belle idée… pour un résultat terriblement décevant.

Solliciter les 363 communes d’Eure-et-Loir était une idée intéressante. Elles ont très largement accepté de jouer le jeu. Seules une dizaine, parmi les plus petites, n’ont pas été en mesure de relever le défi. Il ne peut être question ici de leur jeter la pierre, quand on connaît leurs moyens limités. Elles font de leur mieux.

Mais que d’erreurs, d’approximations, d’oublis dont on voudrait être sûr qu’ils ne sont pas délibérés ! Des trous béants. On en vient à se demander si ce beau projet a bénéficié d’une direction éditoriale, s’appuyant sur les travaux historiques disponibles (il y en a !) pour s’assurer de la véracité des faits évoqués et d’une couverture équilibrée du sujet.

Car les erreurs sont légion.

Non, on ne peut écrire sérieusement que, à Maintenon, « dès les premiers mois de lOccupation, la résistance locale, menée par le capitaine Jules Divers, se mit en place » (page 237), parce que les vrais débuts de la Résistance datent de 1942-43 et que Divers n’y fut pour rien : ce sont les FTP qui jouèrent leur peau.

Non, Henri Triballet n’est pas le « seul député d’Eure-et-Loir à s’être abstenu contre (la formule est amusante) le vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain » (page 131). Il s’est seulement excusé de ne pas pouvoir assister à la séance.

Non, Maurice Gledel, le résistant de Villiers-le-Morhier, n’est pas resté prisonnier pendant quatre mois des Allemands (page 399). Les SS l’ont arrêté le 12 août 1944 (et pas le 10 avril) et l’ont martyrisé pendant deux jours, avant d’abandonner son cadavre.

Non, trois résistants ne furent pas fusillés au cours de l’expédition punitive des Allemands à Saint-Martin-de-Nigelles fin 1943 (page 335). Louis Savouré, Maurice Peltiez, Pierre Bouttier (qui ne sont pas cités) passeront trois mois dans les geôles allemandes avant d’être fusillés au Mont-Valérien le 30 mars 1944.

Non, les tirailleurs sénégalais ne firent pas « preuve d’un courage exemplaire à Châteauneuf-en-Thymerais » en 1940 (page 87). Pour la simple raison qu’ils étaient déployés de l’autre côté de l’actuelle RN154. Ce sont des tirailleurs marocains du 8e RICM qui se battaient à Châteauneuf.

En revanche, comment parler de la guerre à Néron sans évoquer Feucherolles et les massacres dont y furent victimes des dizaines d’hommes du 26e régiment de tirailleurs sénégalais ? Certains villages alentour abordent le sujet. Heureusement.

Comment faire l’impasse sur les fusillés de Chavannes, que n’évoquent dans leurs pages ni Chartres (où vivaient Cormier, Maugé, Brousse…) ni Lèves, où ils furent fusillés ?

Où sont les enfants juifs d’Arrou et de Logron, arrachés à leurs parents déportés, dont le sort déclencha l’indignation de la population au point que le préfet s’en inquiète ?

Et pourquoi les pages sur Maintenon et Pierres ne parlent-elles pas des fusillés du Mont-Valérien, Pierre Sadorge, René Rion, Albert Gautier ? Ni de l’affaire Fermine ?

On pourrait croire que la Seconde Guerre mondiale en Eure-et-Loir s’est cantonnée à des bombardements en 1940 et 1944, des prisonniers retenus en Allemagne, des aviateurs alliés abattus et, pour finir, une levée en masse de maquisards en armes. Pas de villages vidés par l’exode, pas de Juifs déportés (ils furent pourtant plus de 150), aucun réseau gaulliste actif, aucune tondue à la Libération…

On ressort de cette lecture en ayant fait - c’est vrai - quelques découvertes. Mais avec le sentiment d’un immense gâchis !

Et si l’heure était maintenant à l’histoire, une histoire sourcée, fondée sur des archives sérieuses ? Parce que cette mémoire qu’on nous présente ici ressemble de plus en plus, 80 ans après les faits, à l’histoire de « l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours… »