Un danger qui arrange...
Analyse critique du rapport technique de monsieur Jean-Jacques Laurent au sujet des trois marronniers.
Partout en France, une petit musique semble s’être installée entre élus, urbanistes et aménageurs : les vieux arbres à grand développement sont présentés à la population comme potentiellement dangereux. Ils devraient donc être abattus. Cette sentence ne souffrirait aucune objection ; la sécurité des humains et des habitations primant sur tout. Les crises environnementale et civilisationnelle que nous subissons étant une nouvelle fois occultées.
Dans le rapport commandité tardivement par monsieur Bourguignon au sujet des marronniers de la Chambre des Métiers de Chartres, l’expert débute par un état des lieux des conditions de végétation. Il indique que ces trois marronniers évoluent dans « un climat plutôt sec » avec « une moyenne de 637 mm de lame d’eau par année. » Il poursuit sans ambages : « Cette année, la sécheresse est encore plus intense. Cette situation rend les conditions de vie des végétaux difficiles en général. Il n’est d’ailleurs pas exclu que les arbres dépérissent précipitamment au bout de 2 à 3 ans car c’est généralement le temps qu’il faut pour que des arbres feuillus à grand développement réagissent à un gros stress passé. »
S’ensuit une description à charge de la situation sanitaire de notre trio ainsi qu’une critique des différentes opérations de taille qu’il a dû subir au fil du temps. Vient enfin, une évaluation des risques, retranscrite ici dans son intégralité : « D’un point de vue physiologique, les arbres fonctionnent normalement et jouissent d’un niveau de ramification tout à fait satisfaisant, reflet d’un bon niveau de vigueur. En revanche et d’un point de vue physique, la situation est tout autre. Les vieilles opérations de taille ont favorisé l’implantation de pourritures internes discrètes à l’observation mais qui fragilisent toute l’architecture des charpentières. »
« Ainsi, l’essentiel des grosses branches repose sur un ancrage fragile avec un fil du bois contrarié et un matériau bois contaminé par les pourritures. La contagion des tissus de proche en proche est grandement facilitée par la nature du bois blanc du Marronniers qui ne contient pas de tanins protecteurs comme le Chêne en possède par exemple. Le risque de bris est parvenu maintenant à un niveau très élevé notamment lors d’épisodes de tempêtes ou d’orages violents qui sont de plus en plus nombreux de surcroît. Cette situation est d’autant plus préoccupante que les arbres sont situés en surplomb de zone à risque. Le risque pour les personnes et le bâtiment est indéniable. »
Dans sa conclusion, monsieur Laurent préconise « deux grands types de réaction » :
1- « L’élimination des arbres » remplacés par « un bouquet d’essence à forte valeur patrimoniale ».
2- « La mise en œuvre de tailles de réduction à rotations courtes. Étant donné l’âge des arbres et malgré leur état de vigueur apparent, il est vraisemblable qu’ils aient perdu beaucoup de leur capacité de réaction. Les sécheresses successives entament également ces capacités. Aussi, chaque intervention risque, de fait, de précipiter un peu plus leur dépérissement global ».
Chers messieurs Gorges, Laurent et Bourguignon, il manque une troisième possibilité de réaction.
3- Créer un périmètre de protection autour des derniers arbres remarquables en ville.
Renversons la « logique » en limitant drastiquement toutes activités humaines dans l’enceinte de ces sanctuaires. Pas simplement à Chartres, dans toutes les villes de France ! Le temps presse, cet été a vu se produire la pire sécheresse depuis des siècles. Nous entrons dans le Pyrocène, l’ère des méga-feux incontrôlables. La biodiversité s’effondre. Les scientifiques nous préviennent depuis des lustres, ils sont aujourd’hui unanimes : l’humanité s’est rendue coupable de l’accélération et du renforcement des catastrophes environnementales, notamment à cause de ses émissions de CO2 inconsidérées. Voilà pourquoi, les sécheresses, les tempêtes et les orages violents sont de plus en plus nombreux, monsieur Laurent. Nous sommes responsables du dépérissement accéléré de nombreux arbres partout sur le globe. Nous leurs devons désormais respect et tranquillité…
Vous qui lisez ces lignes, passez donc rendre visite à ces trois marronniers. Ils n’inspirent aucune crainte, plutôt de l’émerveillement et de la sérénité. Selon nos propres experts, ils pourraient même encore vivre des dizaines d’années. Prendre le temps de les contempler, de les ressentir et de les analyser permet d’apprécier leur ombre salvatrice, de respirer avec eux, de comprendre leur capacité de résilience face aux nombreuses agressions subies au cours de leur existence. La sagesse de ces arbres expérimentés réside dans leur capacité à faire face à l’adversité, à transmettre des informations utiles et parfois très anciennes aux arbres environnants par l’entremise du sol, des racines et des champignons qui s’y installent en parfaite symbiose.
La majorité municipale est incapable de reproduire cette richesse invisible en plantant ce qui l’arrange où ça l’arrange. Les arbres ne sont pas du mobilier urbain que l’on déplace et remplace à sa guise. Ils sont les fiers messagers d’un temps révolu, capables de nous aider à supporter ces villes infernales héritées de plusieurs générations de politiciens à courte vue. Si nous ne sommes pas de taille à réaliser cette volte-face morale, nous sommes définitivement perdus.
Heureusement, notre vision collective de la faune et de la flore semble en train d’évoluer, en témoigne l’article 3 de la Déclaration des Droits de l’Arbre datant d’avril 2019 : « L’arbre est un organisme vivant dont la longévité moyenne dépasse de loin celle de l’être humain. Il doit être respecté tout au long de sa vie, avec le droit de se développer et de se reproduire librement, de sa naissance à sa mort naturelle, qu’il soit arbre des villes ou des campagnes. L’arbre doit être considéré comme sujet de droit, y compris face aux règles qui régissent la propriété humaine. » Ne soyons pas dupes, ces trois marronniers ne sont pas dangereux ; ils dérangent simplement la mise en œuvre d’un projet immobilier lucratif. Ne laissons plus le profit particulier nuire à notre intérêt collectif. Aux arbres citoyens ! ZAD partout, ZAD vitam !
Sylvain Desmaison