Tirer, d'Alexandre Valassidis
Alexandre Valassidis est un poète. Son premier roman Au moins nous aurons vu la nuit était remarquable. Tout comme l’est son second Tirer, paru également dans la prestigieuse collection Scribes de Gallimard.
L’avantage avec un poète, c’est qu’il a le sens du tempo, de la musique interne de chaque mot avec laquelle il sait nous transporter dans son univers. Un univers onirique où tout se passe dans la mémoire. Le narrateur nous expose ses souvenirs liés à un passé obscur avec très peu de personnages, le tout baigné dans une atmosphère assez glauque, pour ne pas dire irrespirable.
Encadrés par deux hommes qu’il baptise ses oncles, il découvre la fuite et le refuge dans une maison abandonnée. Le soir, les deux hommes partent à l’aventure et ne reviennent qu’au petit matin avec parfois des compagnons d’infortune. On ne sait rien de leurs activités. Mais cela sent le souffre. Au cours de la visite de la maison, ils mettent la main sur un revolver. Cette arme de poing sera le fil conducteur de ce récit où l’on embarque pour des événements troubles à la rencontre de personnages interlopes et mystérieux.
Dans son sac à souvenirs, le narrateur reste sur ses gardes, le revolver toujours prêt à servir. Les souvenirs sont également un moyen de comprendre le comportement de celui qui s’exprime : « Je me disais que ces deux personnages avaient un talent particulier pour brusquer la part de fragilité que je gardais au fond de moi. Cette sensibilité qui m’était une sorte de dernier rempart, de digue ou de refuge. Cette extrême limite que je conservais avant que les choses n’en viennent à déboucher sur des sentiers inconnus, des chemins inquiétants. »
Entre la réalité et ce que garde la mémoire, il y a parfois confusion, comme le dit si bien l’auteur : « Il arrive sans doute que les souvenirs, les pensées et les choses en viennent un jour à s’enliser. Alors, leur récit devient étrange ou partiellement impossible, leur géographie partiellement abîmée. Ce sont des pans d’histoire qui sombrent dans la ligne du temps. Ce sont des morceaux de nuit dans l’histoire, que traversent de rares lumières. La mémoire s’effondre, comme prise dans un glissement de terrain, et plus rien ne semble avoir de sens. »
Avec Tirer, Alexandre Valassidis nous livre dans une atmosphère subtile et brumeuse un texte d’une rare intensité et si nécessaire.
Pascal Hébert
Tirer, d’Alexandre Valassidis, éditions Scribes, 98 pages, 16 €.
(Photo Francesca Mantovani)