Regard d’un Chartrain sur les impacts du changement climatique dans le Haut-Jura

Le Haut-Jura, ce massif montagneux qui côtoie la frontière suisse, est bien connu pour ses forêts d’épicéas, son record de froid historique (-37°C enregistré dans le village de Mouthe en 1968), ses succulents fromages, et son domaine de ski nordique où les champions Quentin Fillon Maillet ou Jason Lamy Chappuis font la fierté de toute la région.

Malheureusement, depuis quelques années, les changements climatiques sont très préoccupants. Ils affectent directement la vie des habitants, les activités économiques et la biodiversité. Une vaste étude* de décembre 2023 prouve l’effet global du dérèglement climatique dans le Haut-Jura et lance de nombreuses alertes sur l’effondrement de la biodiversité, la raréfaction des ressources en eau, les forêts en danger, et la fracturation territoriale et sociale.

Sécheresse et manque d’eau potable

La sécheresse et les canicules qui se répètent depuis quelques années ont entrainé des phénomènes jusqu’alors inconnus dans les montagnes habituellement fraîches et régulièrement arrosées : pour la première fois de mémoire d’anciens, des sources se sont taries. Ces sources alimentaient en eau potable les villages qui se sont retrouvés sans eau plusieurs semaines. Il a fallu acheminer l’eau par camion-citerne. Impensable ici. Certains élus témoignent : « Nous croisons les doigts pour que les volets des résidences secondaires restent clos, si leurs propriétaires viennent, il n’y aura pas assez d’eau pour tout le monde ».

Calamités agricoles

La sécheresse affecte aussi les prairies d’estives. Quasiment chaque été depuis quelques années, l’herbe habituellement grasse et verdoyante en montagne, se met à sécher et jaunir, affectant la productivité laitière et toute la filière comté, notamment. Economiquement, c’est tout à fait inédit.

Méga-feux de forêt

Inédits aussi que les feux de forêt dans cette région jusqu’alors épargnée, car autrefois toujours humide. Le mégafeu qui a affecté les pourtours du lac de Vouglans en 2022 a marqué les mémoires : 1 000 hectares de forêt détruits, près de 1 200 pompiers mobilisés et 300 largages de bombardiers d’eau pour lutter contre les flammes. Des images dignes de l’arrière-pays méditerranéen, et des cicatrices à vif dans le paysage.

Grave épidémie de scolytes dans les forêts

Depuis 2018, un autre drame aux conséquences bien plus graves affecte toutes les forêts d’épicéas du Haut-Jura. Ce bois d’œuvre de très grande qualité mécanique, labelisé AOC, subit des attaques d’un insecte xylophage : le scolyte. Cet insecte a proliféré depuis la canicule de 2018, puis des sécheresses à répétition et de l’absence de grand froid. Les arbres affaiblis par les sécheresses produisent moins de sève. Les insectes se logent sous l’écorce ; le bois dit « scolyté » sèche sur pied à chaque attaque. En un mois à peine, des épicéas parfois centenaires, meurent. Certains spécialistes estiment que des forêts d’épicéas du Haut-Jura pourraient être décimées d’ici une dizaine d’années à ce rythme effréné. Et tout l’écosystème qui était lié s’érode. Aucun traitement n’existe. ONF, propriétaires privés, villages, tous sont démunis. La seule solution : abattre les arbres morts dans des quantités gigantesques. Bucherons et scieries sont totalement débordés. Le cours du bois est divisé par 4. Les villages, traditionnellement propriétaires de vastes parcelles assuraient jusqu’à 25 % de leurs revenus par la vente de bois. Depuis 2018, ces revenus sont extrêmement réduits, impactant irrémédiablement les ressources de ces villages « pauvres ». Les chemins de randonnées sont parfois délabrés par le débardage des grumes au regard des quantités d’abattages hors norme, affectant aussi le tourisme quatre saisons. Les paysages se transforment.

Tourisme hivernal en berne

La hausse des températures moyennes a aussi des conséquences sur les sports d’hiver, très tournés autour du ski nordique et alpin depuis le début du XXème siècle. Les hivers sont devenus trop doux à cette altitude pour garantir un enneigement suffisant. La disparition des épicéas pourrait également accélérer la fonte de la neige autour des pistes, faute d’ombre. Plusieurs stations ont déjà stoppé leurs installations devenues non rentables. La fameuse plus grande course de ski de fond française, la Transjurassienne, a été annulée 4 fois ces 10 dernières années, faute de neige, contre 3 fois les 30 années précédentes. Tout s’accélère. Des centres de vacances autrefois rayonnants, à l’image du Village vacances de Lamoura et ses 900 lits touristiques ou du centre de vacances de Fort du Plasne, ont respectivement mis la clé sous la porte en 2014 et 2017. Un peu partout, les hôtels et restaurants ferment progressivement faute de certitude quant à l’enneigement. L’impact économique est là encore énorme pour l’emploi direct et pour toutes les activités dérivées.

Comment croire à l’avenir dans cette région où l’alimentation en eau, les activités agricoles, sylvicoles, touristiques et sociales sont directement touchées par la rapidité des changements climatiques ?

La fragilité du vivant

Dans le Haut-Jura, au cœur de la nature et loin des centres urbains qui libèrent tant de gaz à effet de serre, impossible de faire comme si les bouleversements climatiques n’existaient pas. Ils sont réels et violents. Aucun responsable politique local n’aurait l’impertinence du maire de Chartres aux propos climatosceptiques assumés. Non, les impacts des changements climatiques n’arriveront pas dans un siècle, ils sont déjà là, affectent toutes les régions**, et ce n’est que le début.

Au regard des enjeux, et de la fragilité du vivant à s’adapter à la rapidité des changements climatiques, l’abattage d’arbres verdoyants, à l’image des alignements de robiniers de Notre-Dame de Chartres, devient totalement abject.

OM

* https://actu.fr/bourgogne-franche-comte/les-rousses_39470/une-etude-dampleur-alerte-des-consequences-du-rechauffement-climatique-dans-le-haut-jura_60495814.html

**https://reseauactionclimat.org/la-france-face-au-changement-climatique-toutes-les-regions-impactees/

Photo : épicéas atteints de l’épidémie de scolyte, morts sur pied, à Lamoura, (Haut-Jura) altitude 1 400 m (28 octobre 2024).