Réflexions en enfer...(7)
Une étudiante qui s’est inscrite dans ce qu’on appelle une filière d’excellence : « Je passe de rat de bibliothèque à rat d’appartement. Ça fait deux ans que je n’ai pas vu la lumière, donc ça ne me change pas tant que ça. »
Un professeur : « C’est un confinement dans le confinement ». Il saisit l’occasion de donner un devoir à faire sur le confinement même.
Dans les campagnes, les autorités autorisent que l’on pulvérise des produits toxiques près des maisons et des rivières, sous prétexte de venir en aide aux agriculteurs qui souffriraient à cause de l’épidémie. Alors qu’ils risquent très peu d’être contaminés, mais sont les premiers à s’intoxiquer avec ces produits. On permet aussi de faire travailler des volontaires sans les payer, pendant que les magasins feront payer plus cher la nourriture produite.
Dictionnaire franco-macronien :
Événement : tentative désespérée, chez l’espèce dite Homo sapiens, de se soustraire à la réalité à l’aide d’actes imaginaires ou sans conséquence.
Mardi 21 avril
Le quotidien semi-officiel déplore une baisse très lente du nombre de morts. La nouvelle peste a tué plus que la grippe (mais pour cette maladie, il suffit de survivre jusqu’à la fin de l’hiver) et les grandes chaleurs (mais là, il suffit de survivre jusqu’à la fin de l’été). Pour cette maladie-là, il ne sert à rien d’attendre.
Un institut de recherche médicale annonce que seule une minorité de nos concitoyens ont été exposés au virus. Cela, dans l’idée qu’avoir été exposé sufirait pour être peu ou prou protégé contre la maladie, ce qui n’est pas sûr du tout. Mauvais signe : les journalistes du quotidien semi-officiel en sont à faire de la rhétorique de bas étage sur le sujet. Selon eux, il n’y a pas non plus de preuve du contraire : misère de la sophistique.
Environ un pour cent des vieux qui se trouvent en maison de retraite sont morts. L’équivalent, en pourcentage, de la seconde guerre mondiale.
La presse rapporte aussi que pendant les premiers jours de l’enfermement à domicile, six cent mille habitants de la capitale se sont enfuis, au risque de contracter la nouvelle peste sur la route. Beaucoup passent des vacances d’été, qu’on souhaite agréables, en plein printemps (le beau temps sans la chaleur).
Fin avril
La mort reprend ses droits : des ouvriers sont revenus pour commencer à remplir de béton le trou creusé dans mon quartier à la place d’un jardin couvert de cerisiers et de pommiers. Ils parlent des langues de contrées lointaines où la nouvelle peste n’a pas (encore) beaucoup tué, et on les a fait venir là où elle tue en masse. Quand le bloc de béton sera construit (si on le termine), y aura-t-il assez de monde pour l’habiter ?
Nostalgie des années 1980 : il fait chaud comme à Beyrouth à l’époque, et je vois des voisins faire la queue devant le magasin, comme à Prague en 1987.
La fille d’un voisin : « Je n’ai pas dormi parce qu’il fallait réviser les mathématiques et l’anglais, et faire mes devoirs d’espagnol. J’ai aussi gardé ma petite sœur qui était malade et ne voulait pas dormir. En ce moment, ma connection à internet ne fonctionne pas très bien ».
Vendredi 1er mai
Un adolescent noir rentre à vélo dans la résidence, pour livrer de la nourriture. L’épidémie n’a jamais arrêté l’esclavage.
Dictionnaire franco-macronien :
Chamailleries : accidents imprévus qui font parfois perdre un œil ou quelques dents.
Travail créateur : hobby subventionné par l’État. S’y consacrer entre deux épidémies.
Performances économiques : fabriquer des voitures qui ne rouleront pas, des avions qui ne décolleront pas, des tramways qui circuleront à moitié vides.
Culte des ancêtres : après la mort des vieux, se détendre entre amis.
Règles de bonne gestion : quand l’opposition se plaint de la vie chère, réduire le coût de la mort.
Stéphane Mourad