Réflexions en enfer... (3)

…ou notes d’un prisonnier de la peste à propos de l’épidémie en France, printemps 2020.

Lundi 23 mars

Dictionnaire franco-macronien :
Courage : art de s’enfermer dans une résidence officielle après avoir parlé à un médecin. S’applique en particulier à la femme la plus puissante du monde.

Mardi 24 mars

La grande prison : près d’un milliard d’enfants et d’adolescents sont privés d’école pour expier la mort de vingt-cinq mille anciens enfants dont la plupart ont trois fois leur âge, au moins.
Points positifs : moins de bruit, d’agitation, de pollution. Temps splendide.
Sur l’arbre d’en face, un écureuil roux essaie de trouver un chemin sur une branche pendant qu’une pie saute au-dessus de sa tête. Il se jette dans le vide et se raccroche à un rameau de l’arbre d’à côté. Je lève les yeux : les pies ont fait un nid au-dessus de la branche où passait l’écureuil sans le voir.

Mercredi 25 mars

Mathématiques :
30 (jours) : temps indispensable pour autoriser un médicament utilisé depuis des décennies (chloroquine).
60 (heures) : semaine de travail en France sous Vichy.
Ni plage, ni alcool : la vie dans la bande de Gaza.
Un ancien ministre de la culture : « La liberté d’information […] est bien respectée ».
On ne trouve plus en pharmacie le médicament censé guérir de la peste. Des médecins le prendraient pour eux-mêmes.

Jeudi 26 mars

Dictionnaire franco-macronien :
Fraise : fruit indispensable à la guérison des malades. Pousse miraculeusement en mars.
Enseignant : mot masculin qui désigne généralement une femme.
Traverser la France : aller de Paris à Chartres, pour cueillir des fraises pas encore sorties de terre.
« Ne travaille pas » : se dit de quelqu’un qui n’est pas porte-parole d’un chef d’État.
Coronavirus : maladie qui a l’impertinence de ne pas tuer en premier les enfants des pays pauvres. Son contraire : paludisme, choléra, dictature, Bachar el-Assad, etc.
Crise : moment où des individus médiocres et sans scrupule tiennent à passer pour des héros.
Sur le site arabe de la radio anglaise : un article sur les mendiants indiens qui ont peur de mourir de faim dans la grande prison. On interviewe un homme qui a à peu près mon âge : il raconte qu’il a entendu le chant des oiseaux pour la première fois de sa vie, dans le quartier où il habite.
Des milliers d’enfants meurent du paludisme, sans avoir eu le temps de mesurer les dangers de la chloroquine.
Dans mon quartier, la vie ressemble à un éternel dimanche ordinaire.
Il y a encore quatre mois, on aurait eu l’impression que c’était la révolution aux quatre coins de la planète, après avoir allumé la télé. Aujourd’hui, « retour à la normale ».
Albert Camus : « J’ai pensé que c’était toujours un dimanche de tiré ».

À suivre.

Stéphane Mourad