Protéger la démocratie pour le monde de demain : peut-on encore attendre ?
Nous avons la chance de vivre dans une démocratie qui s’est construite au fil des années, mais dont on oublie peut-être un peu vite qu’elle s’est bâtie et consolidée au cours des deux derniers siècles. Elle nous paraît naturelle, nous y sommes habitués et peut-être ne réalisons-nous pas aisément, l’ayant toujours connue, qu’elle est fragile et qu’il faut la défendre.
Nous sommes confrontés à plusieurs dérives : une inflation législative, de petits arrangements avec le fonctionnement des institutions et, samedi 23 janvier, un leader politique demande que le gouvernement se retire de la Convention Européenne des Droits de l’Homme !
L’inflation législative, depuis quelques années, se traduit par une multiplication des textes de lois en réaction à l’actualité : un moyen de témoigner d’une réponse à des préoccupations des Français, quitte à faire fi des textes existants et à ignorer qu’ils permettent déjà, dans bien des cas, de répondre aux questions posées. Plus grave, cette inflation législative fait glisser des dispositions d’exception dans le droit commun.
Le fonctionnement des institutions est remis en cause, dévoyant les règles usuelles de gouvernance : les conseils de défense et de sécurité nationale se multiplient à la défaveur du Conseil des ministres. Il y a toujours une « bonne raison », le terrorisme ou la covid, mais force est de constater que cette instance, dont la composition est choisie par le seul Président, qui peut se réunir en formation restreinte et dont les réunions sont classées secret-défense, a désormais pris une place prépondérante.
Et ceci ne doit rien à la crise sanitaire : alors que le conseil de défense et de sécurité nationale ne se réunissait que deux ou trois fois par an avant 2015, il l’a été déjà dix fois en 2015, trente-deux fois en 2016, quarante-deux fois en 2017 ! Désormais le rythme est hebdomadaire. Sa compétence est pourtant très large puisqu’elle embrasse, selon la constitution, « les orientations en matière de programmation militaire, de dissuasion, de conduite des opérations extérieures, de planification des réponses aux crises majeures, de renseignement, de sécurité économique et énergétique, de programmation de sécurité intérieure concourant à la sécurité nationale et de lutte contre le terrorisme ».
Ce dévoiement s’est également manifesté par le recours aux dispositions de l’état d’urgence en 2015 utilisées contre les manifestants de la COP 21, par exemple. Heureusement, il existe encore des mécanismes de protection des droits des citoyens : le Défenseur des droits avait, par exemple, déclaré le 18 décembre 2015 « la nécessité de combiner les exigences de la sécurité avec le respect des libertés individuelles et publiques » et décidé d’accueillir toutes les réclamations liées à la mise en œuvre des mesures prises en vertu de la législation sur l’état d’urgence.
Pour avoir les mains libres afin de « rétablir la souveraineté nationale » , le numéro 2 du principal parti d’opposition (Guillaume Peltier, Les Républicains) a demandé samedi 23 janvier sur France Inter, que « le gouvernement français aie le courage de sortir du gouvernement des juges et de suspendre notre participation à la CEDH (Convention Européenne des Droits de l’Homme) » !
Protéger la démocratie pour le monde de demain : peut-on encore attendre ?
Léo Stirn