Philippe Briand dans la tourmente Bygmalion

En 2017, Cactus avait publié un portrait de l’homme politique le plus puissant – à l’époque – de la région Centre Val de Loire.  À quelques jours de l’ouverture du procès Bygmalion qui fait trembler toute la Sarkozie, le voici reprogrammé en version actualisée.

Qui est l’homme politique le plus puissant, le plus influent de notre région Centre Val de France ? André Laignel ? Guillaume Peltier ? François Bonneau ? Marc Fesneau ? Jean-Pierre Gorges ?

Aucun de ceux-là, assurément. Car il en est un qui les surclasse tous, par le talent, le paraître et l’entregent. Un grand capitaine « d’industrie immobilière », businessman bâtisseur, le prototype du self made man et du rêve américain made in Touraine, l’archétype de la Réussite, carnassier séduisant, costume sur mesure, raffiné (d’apparence), élégant (d’apparence encore), sourire Colgate, celui qu’on s’arrache en ville pour l’entendre distiller certitudes et conseils infaillibles, la réincarnation d’un Chirac urbain dont la poignée de main, paradoxalement suave et virile, est capable de vous transformer en disciple lobotomisé. En somme, la définition du gourou.

Un duc du XXIème siècle

Le Duc de Touraine, ainsi le surnomme-t-on, n’est pas né bourgeois le 26 octobre 1960 à Tours, mais dans la classe moyenne. Point de grandes écoles à l’entame de son parcours d’adulte, simplement un diplôme d’IUT en techniques de commercialisation. Par contre, son engagement précoce en politique détermine sa destinée hors du commun.

En 1981, Philippe Briand fait ses classes comme attaché parlementaire du député-président du conseil général d’Indre-et-Loire RPR André-Georges Voisin. En 1983, il est élu au conseil municipal de Saint-Cyr-sur-Loire. L’année suivante, il est déjà adjoint au maire. Au renouvellement de 1989, il s’impose au poste de maire. Il devient, à moins de trente ans, le plus jeune 1er magistrat d’une commune de plus de quinze mille habitants.

Boulimique de pouvoir, sous toutes ses formes, il profite de la dernière décennie du siècle passé pour bâtir les fondations d’un empire à deux têtes. Ainsi, sur le modèle de Jacky Lorenzetti, à l’époque PDG de Foncia (l’actuel président du Racing 92 de rugby), il crée son propre réseau d’administration de biens immobiliers : Citya.

Parallèlement, en 1992, son élection au conseil régional du Centre et son élévation au rang de vice-président par le big boss de l’époque, l’Eurélien Maurice Dousset, lui permettent, jusqu’en 1998, de cultiver ses réseaux d’influence.

En mars 1993, Philippe Briand conquiert la 5ème circonscription législative d’Indre-et-Loire, qu’il transforme en fief inexpugnable RPR-UMP-LR jusqu’en… 2017, date à laquelle la loi sur le non-cumul des mandats le contraint à abdiquer… Dans l’hémicycle à Paris, le député Briand ne manifeste aucun activisme législatif – impossible d’être partout à la fois ! -. Mais preuve que son nom est désormais inscrit sur les petits papiers des puissants, il est bombardé questeur de l’Assemblée en 2007, fonction organisationnelle de première importance…

Les affaires et la politique

Au printemps 2004, Philippe Briand, à la fois cheval de course politique et cow-boy entrepreneur, est confronté à un dilemme. Nommé Secrétaire d’État à l’aménagement du territoire, il présente sa démission quinze jours plus tard au Premier ministre Jean-Pierre Raffarin. Le fait est qu’il pourrait se voir reprocher un conflit d’intérêt à cause de sa position à la tête de la société Citya Immobilier, devenue troisième groupe français derrière Foncia et Nexity.

Philippe Briand choisit donc l’entreprise, plutôt que les ors de la République, plutôt qu’un tremplin aléatoire vers des fonctions ministérielles plus prestigieuses. Le choix de la raison et de la fortune. La sienne est estimée à plus de cent millions d’euros… Le groupe Citya est effectivement son chef d’œuvre, auquel il consacre l’essentiel de son temps. Son objectif à moyen terme est de l’étendre sur tout le territoire métropolitain. Le rachat de l’enseigne Laforêt s’inscrit dans cette stratégie.

L’homme fixe lui-même les tarifs – souvent très élevés – pour ses clients, valide personnellement les budgets de chacune de ses deux centaines de filiales. Idem pour les conventions réunissant plusieurs centaines de ses salariés ou dirigeants. Il ne fait confiance qu’à lui-même, ne délègue que les tâches les plus subalternes. Chaque salarié est tenu de respecter son contrat de vassalité sous peine de bannissement. Malheur à celle ou à celui qui exprime une critique du système, qui exhibe une velléité ou une appartenance syndicale. Sanction identique pour les félons : l’ostracisme. Il faut du temps pour recenser les procédures judiciaires, notamment prud’homales… Cela étant, la pratique des protocoles tend à se développer pour éviter la mauvaise presse des ex-salariés…

Mais comment résister quand on est tombé si jeune dans la marmite de la politique ? Trente et un ans qu’il trône en majesté à la mairie de Saint-Cyr-sur-Loire et dans sa superbe maison de maître – de 620 mètres carrés habitables avec parc de presque trois hectares.

Mieux, le grand vide laissé par la mort du parrain socialiste Jean Germain permet à Philippe Briand de se hisser en 2014 (jusqu’à l’été 2020) à la tête de la communauté d’agglomération tourangelle, devenue Tours Métropole en mars 2017. Pour autant, est-ce le signe annonciateur d’une nouvelle ambition nationale ? Rien n’est moins sûr.

La tentation sarkozyste

Car Briand traîne un énorme boulet : l’affaire Bygmalion. À partir de 2007, il s’est beaucoup rapproché de la Sarkozie, au point d’être remarqué par le Président himself. Ce dernier lui a proposé d’être le responsable de son association de financement pour la campagne présidentielle de 2012. Briand a accepté, évidemment. On connaît la suite… En tant que grand argentier, comment cet homme d’affaires d’ordinaire si avisé, si précautionneux, ne s’est-il pas rendu compte du dépassement ahurissant des comptes de campagne de son mentor : plus de 18 millions d’euros ?

Déchu de son immunité parlementaire, Philippe Briand est mis en examen et poursuivi devant le tribunal correctionnel pour « usage de faux, escroquerie, recel d’abus de confiance et complicité de financement illégal de campagne électorale ». Bien que présumé innocent, il aimerait bien effacer cette tache sombre sur son curriculum vitae, éloigner l’épée de Damoclès oscillant au dessus de sa tête. Mais la justice doit passer. On est certain qu’il usera de toutes les voies de recours pour qu’elle soit rendue le plus tard possible.

Le 8 juin 2017, pendant un meeting en Indre-et-Loire, en présence de François Baroin, il s’était permis une saillie sur « l’évolution macronienne » de la vie politique nationale : « Pas de droite, pas de gauche… Comment imaginer ça ? Alors j’essaye de trouver une représentation ! J’vois une belle paire de fesses. La fesse de droite et la fesse de gauche. Alors si y’a pas de droite, y’a pas de gauche, y’a plus de fesse droite, y’a plus de fesse gauche… Et là, y’a plus que des trous du cul… » Dans l’assistance, quelques rires gras. Le vrai Philippe Briand, élégant et raffiné, vous dis-je.

Gérard Leray