Marronniers : "Attendons le jugement du référé", dit la préfète de l'Eure-et-Loir


14h30 aujourd’hui en préfecture de Chartres. Troisième étage. La préfète de l’Eure-et-Loir a répondu positivement à la demande des associations Chartres Écologie et Sykadap de la rencontrer au sujet des trois marronniers de la Courtille à Chartres, menacés d’abattage à cause d’un projet immobilier de haut standing.

Face à face, d’un côté de la grande table, de gauche à droite, Karine Dorange, élue représentant la mairie de Chartres, le chef de cabinet de la préfète, la préfète, le directeur de la direction départementale des territoires (DDT), et les deux responsables de la sécurité dans le département. De l’autre côté, de gauche à droite, Gérard Leray, Patrick Chenevrel, François Roumet et Pascale Cordier, représentant les deux associations de défense des marronniers. Nous nous étonnons de l’absence du promoteur M. Philippe Bourguignon, il nous est répondu qu’il est représenté par Karine Dorange...

La préfète commence en déclarant qu’elle a interrompu ses vacances à cause de nous. Idem pour Karine Dorange. La préfète insiste sur la nécessité de trouver une solution de compromis. Sous-entendu : en cette période de rentrée, on a des choses plus graves, plus importantes à gérer. On entre dans le vif du sujet : pour les services de l’État, la zone EBC (Espace Boisé Classé) n’est pas inviolable pourvu qu’elle ne change pas de destination. On peut donc abattre les marronniers et les remplacer par des essences « moins gênantes ». Karine Dorange parle de plantation de chênes dorés. Pour nous, la zone EBC est sacrée. Elle est intouchable sauf si l’on procède à une enquête publique pour valider sa modification. Constat de différence d’ondes…

Selon Karine Dorange, il est évident que le permis de construire et l’arrêté d’abattage respectent la loi. À une "broutille" près : elle avoue que le promoteur n’a pas affiché en heure et en temps sur le site l’arrêté de non opposition à l’abattage. L’affichage est effectif seulement depuis quelques jours. Ce qui fait courir pour presque deux mois encore le délai de recours. Cependant, elle martèle : « Le projet se fera, c’est une certitude... »

Les visages en face de nous se figent de stupeur quand Patrick Chenevrel annonce que deux recours (référé suspension et pour excès de pouvoir) viennent d’être déposés au Tribunal administratif (TA) d’Orléans par un riverain. Echange de sms de Karine Dorange avec les services de la ville de Chartres, qui lui confirment en direct la réception de ces recours. Du coup, la préfète annonce que tout est suspendu à la décision du TA d’Orléans, sans doute la semaine prochaine, s’agissant d’une procédure d’urgence. Pas d’intervention policière d’expulsion à court terme dans les prochaines heures.

Karine Dorange soutient que les trois marronniers ont une quarantaine d’années. Nous contestons fermement cette affirmation mensongère. Nous demandons au DDT son expertise, mais le fonctionnaire refuse de s’engager sur ce terrain…

Nous informons Karine Dorange qu’un recours contentieux contre le permis de construire va très certainement être porté au TA par un propriétaire riverain pour faire suite au recours gracieux envoyé à la mairie le 2 juin, qui n’a reçu réponse que le 25 juillet. Le permis de construire pourrait donc être annulé dans plusieurs mois ! C’est pourquoi nous nous étonnons qu’un abattage ait été commandé si vite et en plein mois d’août avant que les délais de recours ne soient purgés, d’autant qu’il n’y a pas d’urgence, la Chambre de métiers continuant sur place la préparation des Artisanales jusqu’à début octobre. Mais madame Dorange est confiante : le riverain et le promoteur vont s’arranger ! (rien de moins sûr). Elle refuse de lier l’abattage et la construction.

Pascale Cordier, représentante de Sykadap, porte la parole et les témoignages des nombreux citoyens sensibilisés par le sujet d’intérêt général éminemment supérieur à l’intérêt privé. La préfète et Karine Dorange ne l’écoutent pas, soupirent. La préfète l’interrompt : « Ce n’est pas le sujet. Je n’ai pas organisé cette rencontre pour entendre l’opposition à la ville de Chartres. » Et de poursuivre : « Il faut favoriser l’arrivée à Chartres de gens qui viennent d’ailleurs, des gens qui ont des ressources financières et qui peuvent enrichir notre territoire. » C’est désormais clair, la préoccupation fondamentale de la première représentante de l’État en Eure-et-Loir n’est pas le dérèglement climatique, n’est pas la préservation de l’environnement et des arbres, les climatiseurs les plus efficaces que l’on connaisse.

Tout à la fin, au bout de quarante-cinq minutes, nous reconstituons le puzzle : Monsieur Philippe Bourguignon est le nouveau propriétaire de la parcelle. Le vendeur est la Chambre de métiers et de l’artisanat (CMA). La SEM Chartres développements immobiliers, présidée par Elisabeth Fromont, 1ère adjointe au maire de Chartres, est partie prenante dans l'opération à hauteur de 40%. C’est Karine Dorange, autre adjointe en charge de l’urbanisme et des travaux, qui a délivré le permis de construire et l’arrêté de non opposition à l’abattage sur la fameuse parcelle de la CMA. Or Karine Dorange est en même temps administratrice de la SEM Chartres développements immobiliers. Juge et partie… Fermez le ban.

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Légende de la photographie : la maison du docteur Dugoujon à Caluire, là où Jean Moulin, ex-préfet de l'Eure-et-Loir et chef du Conseil national de la Résistance, fut arrêté le 21 juin 1943 par le chef de la SIPO-SD de Lyon, Klaus Barbie.