Le Tartan noir, de Gilles Bornais
Voilà un roman qui répond bien aux critères de Patrick Rambaud, prix Goncourt 1997 ! Soigné à souhait, magnifiquement construit avec un feu d’artifice d’intrigues, et particulièrement cinématographique, Le Tartan noir, le dernier opus de Gilles Bornais, est un petit bijou ! Depuis 2001 et la parution de l’excellent Diable de Glasgow, le créateur du détective Joe Hackney de Scotland Yard poursuit une œuvre de romans policiers historiques particulièrement intéressante.
Gilles Bornais est devenu au fil des épisodes de son enquêteur un véritable maître du suspense. Les intrigues du Tartan noir sont bien là pour le prouver ! Semé de pièges à tous les étages, ce roman nous emmène au bout de la nuit écossaise sur l’île de Lewis et Harris.
C’est dans un milieu hostile avec des acteurs animés par une véritable mentalité d’insulaires, que l’on retrouve avec plaisir le fameux Joe Hackney, policier atypique du Londres de la fin du 19e siècle. Avant de prendrela direction de l’Écosse pour résoudre les meurtres mystérieux et d’une grande sauvagerie de trois hommes dont un policier, Joe Hackney enquêtait sur celui d’un chef d’équipe des abattoirs d’Islington à Londres. Une enquête délicate, impliquant un proche, qu’il confie à son ami Ashby.
Sur cette île de Lewis et Harris, loin de tout, où l’on parle à la fois gaélique et écossais, une petite communauté de survivants aux conditions climatiques extrêmes trouve la chaleur humaine dans une auberge appelée Le tartan noir. Plaque tournante de tout ce qui se dit et se fait sur l’île, Le tartan noir, dirigé par Gul, héberge l’enquêteur. Peu aidé par les policiers de l’île et par les habitants, Joe Hackney se heurte aux faits et aux témoignages revisités des témoins et autres interlocuteurs.
Avec l’aide d’Abigaïl, la veuve du policier assassiné, le célèbre inspecteur parvient à viser l’angle mort de ces meurtres pour résoudre une sombre histoire familiale. Auparavant, le fin limier de Scotland Yard restera longtemps dans l’épaisseur d’un écran de fumée avant de voir le début d’une piste sérieuse. Mené en bateau par ceux qui ne veulent pas que des étrangers se mêlent de leurs histoires, Joe Hackney devra compter sur son flair et son intuition qui font de lui un flic attachant et efficace.
Côté suspense, Gilles Bornais s’est bien lâché dans ce roman aux multiples rebondissements et fausses pistes. Foisonnant d’idées, Le Tartan noir restitue une foule de détails liés à la réalité de cette époque. C’est ce qui fait également le succès de cette série policière pas comme les autres et bien maîtrisée. Mais avec Le Tartan noir, ce diable de Gilles Bornais a pris un malin plaisir à perdre ses lecteurs jusqu’à ce que la lumière surgisse dans les dernières pages. Cette fois-ci, il fait fort en ajoutant avec malice l’enquête de Londres à celle de l’île de Lewis et Harris !
Pascal Hébert
Le Tartan noir, de Gilles Bornais, éditions Gaelis. 384 pages. 17 euros.
Interview de Gilles Bornais : « J’aime que le premier avis qu’on se fait sur un personnage ne soit pas forcément le bon »
Est-ce ton dernier opus sur le Loc Ness qui t’a inspiré cette histoire sur une île ?
Non, j’avais eu il y a quelques années l’idée d’une histoire basée sur une légende que je croyais avoir inventée. A l’époque, j’avais cherché une île où implanter cette l’histoire, et c’est là que j’ai découvert que « ma » légende était en partie vraie. Lorsque que l’éditeur Gaelis m’a demandé une septième enquête de Joe Hackney, le fond de l’histoire était prêt.
Comment t’es venue l’idée de t’embarquer sur deux enquêtes parallèles, l’une à Londres et l’autre sur l’île de Lewis et Harris ?
J’ai écrit plusieurs premiers chapitres complètement différents. Je voulais présenter Joe, son univers à Scotland Yard, ses rapports avec Millie, sa mère et ses copains des Débardeurs. Et j’ai retenu cette enquête dans les abattoirs, parce qu’elle me permettait ces présentations et, aussi, de donner une épaisseur à l’histoire, Joe n’est pas qu’un enquêteur, il a une vie, sans compter que cette première enquête finit par ajouter du mystère à la seconde.
Pour ce roman, as-tu eu besoin de te rendre sur place ?
Non, j’ai donc cherché un ou une documentaliste et j’en ai trouvé une très efficace. J’ai également eu la chance de tomber sur un document administratif de l’époque qui recensait tous les commerces, administrations, institutions religieuses et autres de Harris, avec le nom de chaque personne concernée.
Comme dans les autres histoires de Joe Hackney, les ambiances que l’on découvre sont réalistes. As-tu besoin de découvrir la mentalité qu’il règne dans les villes et régions qui servent de décor à tes romans ?
C’est surtout les éléments obtenus par Stéphanie, la documentaliste, qui m’ont permis de reconstituer les mentalités et l’ambiance locales. Elle a, entre autres, réussi à correspondre avec un hôtelier de Harris et son père, qui connaissaient l’histoire de l’île sur le bout des doigts, et qui ont collaboré tout le temps qu’a duré l’écriture du roman. J’ai pu vraiment décrire la vie et les gens tels qu’ils étaient (en forçant parfois le trait pour les besoins de l’histoire) à Harris en 1893, et, aussi, décrire les scènes d’abattoir à Islington.
Eprouves-tu autant de plaisir à mener tes recherches sur place qu’à écrire ?
Pour le coup, la recherche à distance a été une part importante du travail. Chaque élément historique découvert était une petite victoire. Il y a des périodes pénibles, aussi, quand manque un élément pour décrire une scène. Mais on a réussi à tout obtenir…
On retrouve comme toujours avec toi des personnages incroyables dans ce livre, comme le constable responsable O' Suilleabhain ou la sorcière. Que peux-tu nous dire sur ces deux personnages ?
Ce genre de personnages très « dickensiens » sont des archétypes du roman policier historique dit « gothique ». Il faut ensuite les rendre crédibles et que leur côté « incroyable » serve l’intrigue. J’aime aussi que le premier avis qu’on se fait sur un personnage ne soit pas forcément le bon. Comme dans la vie, les plus inquiétants ne sont pas toujours les plus mauvais. Il faut malgré tout de vrais affreux…
La relation de Joe Hackney avec Abigaïl est assez belle de même que la manière dont tu l’écris. Est-ce que Gilles Bornais ne se cache pas derrière Joe Hackney pour parler des relations avec les femmes et du couple ?
Peut-être un peu. Dans ce roman, Joe dit à Abigaïl qu’il ne se voit pas se promener avec elle le dimanche dans les parcs, et c’est vrai que je n’aime pas ça moi non plus... Joe Hackney aime beaucoup les dames, mais il ne se voit pas mener une vie de mari modèle ni une vie de famille. Cela m’arrange, je serais obligé d’écrire des histoires à l’eau de rose alors que je préfère écrire des romans assez noirs.
A la lecture de ce roman, on se demande si tu ne vas pas finir par faire comme Uderzo et Goscinny qui alternaient une histoire d’Astérix dans son village et une à l’extérieur.
Je suis plus attiré par l’Écosse. J’adore ce pays. Sur les sept opus de la série des Joe Hackney, cinq ont lieu en Écosse et s’il y en a un huitième, je pense qu’il se déroulera encore en Écosse.
Un nouvel épisode est-il en préparation ?
Quand les sept opus de la série auront été publiés par Gaelis, il n’est pas impossible qu’il y en ait un huitième. C’est tentant, ce sont des livres que j’aimerais lire et que j’aime écrire.
Si d’aventure, le cinéma ou la télévision s’intéressaient à cet enquêteur pas comme les autres, quel acteur français ou anglo-saxon verrais-tu pour incarner Joe Hackney ?
Romain Duris, l’acteur écossais James McAvoy, et, en le rajeunissant un peu, Richard Anconina.
Propos recueillis Pascal Hébert