Le projet d'A154 "plus que parfait" de la préfète ne tient pas la route
La seconde réunion du comité de pilotage du projet A 154 a eu lieu le 14 octobre 2022 à la Préfecture d'Eure-et-Loir. Étaient conviés les maires des communes de l'arrondissement de Chartres impactées par le projet, ainsi que le député Kasbarian (absent !) et Jacques Lemare (élu référent A 154 au Conseil départemental). Une heure de réunion, où seuls quatre maires se sont exprimés parmi les présents.
Le maire d'Allonnes fait part de sa vive inquiétude de voir l'autoroute emprunter la déviation de sa commune ouverte il y a une dizaine d'années et une forte circulation ainsi revenir traverser l'axe principal de ce village-rue. Il est soutenu vivement par le maire de Chartres, qui en profite pour égratigner le député Kasbarian, absent. S'expriment ensuite deux maires du nord de Chartres (Berchères-Saint-Germain, Poisvilliers) qui expriment leurs doléances locales. Madame la préfète prend note et en profite pour rebondir : chaque commune a jusqu'au 15 novembre pour adresser par écrit ses doléances sur le projet à la Préfecture. Jusqu'ici, aucune opposition n'est exprimée au projet autoroutier en lui-même. Même si plusieurs maires de petites communes sont très inquiets voire contre, ils ne l'expriment pas ouvertement. Vient ensuite l'intervention du représentant de la mairie de Gasville-Oisème, dont le texte est reproduit ci-dessous.
Rappelant à madame la Préfète qu'un mémoire lui a été adressé par la commune de Gasville-Oisème en juillet, récapitulant les manques et les erreurs de l'étude d'impact de la DREAL en 2016, voici la réponse obtenue : la préfecture fera suivre le mémoire aux concessionnaires candidats, parmi les doléances de toutes les communes. Et Gasville-Oisème sera traitée comme les 37 communes du projet, sans distinction.
Comme si obtenir une réponse des services de l'Etat était une faveur ! On peut être inquiet, ou sourire, car ce mémoire est tout sauf un cahier de doléances rédigé à l'intention d'un concessionnaire. C'est même tout l'inverse, à savoir un état des lieux - se concentrant sur une commune - d'un projet mal évalué, présentant de ce fait des risques totalement sous-estimés pour la dite commune. Aucune réponse sur le fond ne sera fournie, l'Etat semble balayer ses responsabilités du revers de la main. Déni ou excès de confiance ? Nous le saurons bientôt.
"Madame le Préfet, mesdames et messieurs les élus, nous vous remercions de nous avoir conviés à ce deuxième comité de pilotage, où nous sommes heureux de pouvoir rencontrer les élus des communes impactées par le projet A 154. Partager nos craintes et nos attentes, relayer celles des administrés, c’est ce rôle qui nous est dévolu aujourd’hui. Mais à qui parlons-nous ? Qui va nous écouter et nous entendre ? Nous sommes face à l’Etat, et ses représentants.
Madame le Préfet d’Eure-et-Loir, qui nous assure que tout se passera bien, que ce magnifique projet autoroutier verra bien le jour et qu’il sera « plus-que-parfait ». Un discours qui pourrait être rassurant si, dans le même temps, madame le préfet ne venait pas de refuser de répondre sur le fond à la commune de Gasville-Oisème – très impactée par le projet A 154 – qui lui a pourtant remis un mémoire détaillé concernant ses interrogations et ses remarques sur l’étude d’impact réalisée par la DREAL en 2016, qui servi de de base à la Déclaration d’Utilité Publique en 2018.
Nous posons donc aujourd’hui la question : l’Etat va-t-il réellement jouer son rôle de garant de l’équité dans le déroulé à venir du projet A 154 ? Doit-on dès à présent se poser légitimement la question ?
L’Etat, qui a été condamné en octobre 2021 pour son inaction et qui devra réparer les préjudices écologiques causés par ses manquements dans la lutte contre le changement climatique. L’Etat qui affirme sa volonté de décarboner les transports terrestres à l’horizon 2050 et qui, lorsqu’il énumère tous les leviers d’action devant être mobilisés, évoque timidement la « maîtrise de la croissance de la mobilité ».
Dans la réalité, ce ne sont pas moins de 55 nouvelles infrastructures de transport routier qui sont en projet en France. 18 milliards d’euros d’argent public investis dans des constructions dont personne ne sait si elles seront toujours utiles le jour où elles verront le jour. En revanche, ce que l’on sait déjà, c’est que 4 500 hectares de terres agricoles, de bois, de zones naturelles gorgées de biodiversité, vont être artificialisées par tous ces projets.
4 500 hectares, dont plus de 600 pour le seul projet A 154 et les aménagements induits. Alors que dans le cadre du dérèglement climatique, dont les effets commencent à se faire ressentir dans tous les pays du monde, la préservation des terres agricoles et la protection des ressources en eau devraient devenir des priorités absolues, aucune mesure ne semble capable d’enrayer l’artificialisation des terres agricoles, qui ronge notre pays depuis des décennies. Et les compensations prévues dans le cahier des charges du concessionnaire n’y changeront rien : la surface agricole va se réduire irrémédiablement.
Dans le même temps, on a compris cette année que l’autonomie alimentaire de la France est en péril, et qu’elle devrait constituer un enjeu de sécurité nationale. La question peut être posée trivialement : quand avons-nous décidé de faire rouler toujours plus de camions sur des autoroutes plutôt que de sanctuariser nos terres agricoles ?
Le 1er juillet dernier, le représentant de la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mobilité (GITM) vantait ici-même les mérites de la future liaison autoroutière Castres-Toulouse (LACT), aussi nommée A 69. Encore un projet plus-que-parfait, à l’écouter ? Il n’en est rien. En septembre, le Conseil National de Protection de la Nature, instance d’expertise scientifique et technique rattachée au ministère de l’Écologie, a pointé dans son avis « l’absence d’éléments tangibles permettant de justifier de l’intérêt public majeur » de ce projet. Saisie pour avis par les préfets de Haute-Garonne et du Tarn, l’Autorité environnementale - indépendante elle aussi - a également rendu son avis, le 5 octobre dernier : « De façon générale, ce projet routier, initié il y a plusieurs décennies, apparaît anachronique au regard des enjeux et ambitions actuelles de sobriété, de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de la pollution de l’air, d’arrêt de l’érosion de la biodiversité et de l’artificialisation du territoire et d’évolution des pratiques de mobilité et leurs liens avec l’aménagement des territoires ». On ne saurait mieux l’exprimer.
Toute ressemblance avec un projet autoroutier - vieux de plusieurs décennies - se profilant en Eure-et-Loir ne serait pas du tout fortuite. Car tant sur le plan environnemental que sur le plan économique, ce sont bien des avis négatifs qui tomberont dans les années qui viennent pour l’A 154, tant le modèle et le discours sur lesquels il a été construit sont aujourd’hui archaïques et obsolètes. Ceci se révèlera de plus en plus aux yeux de nos concitoyens dans les années qui viennent et vous pouvez compter sur nous pour les guider.
Acheminer les céréales de la Beauce vers les ports normands par l’autoroute ? Aujourd'hui, la grande majorité du transport des céréales s'effectue par voie routière. Depuis des années, le fret ferroviaire est moins rentable que le fret routier. Pour exemple, le silo de Marchezais, pouvant contenir 120 000 tonnes de céréales, expédie presque en totalité par camion le blé, colza, orge mouture et brassicole, alors même qu'il existe un embranchement train sur le site. On marche sur la tête, alors que l’accord de Paris pour le climat prévoit de trouver des alternatives afin de réduire les gaz à effets de serre et limiter le réchauffement climatique. Seul le développement du fret ferroviaire permettrait de pérenniser à long terme un modèle économique en manque de cohérence avec les enjeux climatiques.
Ayons une pensée solidaire pour les habitants de l’Eure, qui se dressent contre le projet A 133-A134 - le contournement est de Rouen - et qui commencent à comprendre que leur tronçon de RN 154 entre Val-de-Reuil et Nonancourt ne restera pas gratuit encore bien longtemps. Achever le grand contournement ouest de l’Ile-de-France par autoroute ? Il existe déjà, il fait la liaison entre Tours et Rouen, et s’appelle l’A 28 inaugurée en 2005. Désenclaver les territoires ? Un bien grand mot, pour lequel il semble n’y avoir qu’une seule réponse : la concession autoroutière, soit la privatisation des routes. Les Euréliens qui ont contribué au financement de l’aménagement de la RN 154 l’ont maintenant compris : ils vont bientôt perdre leur route nationale à cause de l’inachèvement des travaux de sécurisation et de déviation, pourtant demandés depuis des décennies.
Les Euréliens, évoquons-les. Avec la réalisation de l’A 154, certains vont bénéficier de la déviation de la circulation qui polluait leur commune, quand d’autres vont retrouver les nuisances qu’ils avaient vu disparaître au fil des aménagements de contournement, telle Allonnes. Ceux qui habitent les communes les plus malchanceuses - comme Gasville-Oisème ou Saint-Prest - connaîtront un accroissement monstrueux des nuisances sonores et de la pollution de l’air, ou bien découvriront ce que cela signifie d’être situé sur un itinéraire de substitution.
Pourtant « la qualité de vie des riverains » est une priorité absolue de l’Etat, au premier rang des engagements pris en 2019. Les Euréliens, bons contribuables qui auront financé les aménagements de la RN 154 avec leurs impôts, et qui vont devoir contribuer au budget de l’autoroute, à travers la subvention d’équilibre de 55 millions d’euros que devront verser leurs collectivités, et le financement des nombreux aménagements parallèles qui seront à la charge du Conseil départemental. Les Euréliens, enfin, qui découvriront bientôt que, pour emprunter l’A 154 pour leurs trajets pendulaires, ils devront s’acquitter d’un péage. Ils pourront certes bénéficier d’un tarif négocié, mais en contrepartie d’un abonnement payant, versé une fois de plus au concessionnaire.
Nous pouvons récapituler en quelques mots l’aberration de ce projet au regard des enjeux qui se dressent devant nous, en demandant un moratoire sur tous les projets autoroutiers de France, dont l’A 154. En parallèle, le maire de Gasville-Oisème se permet d’insister pour qu’une réunion de travail avec la Préfecture et la DREAL soit planifiée dès que possible, afin qu’une réponse soit donnée sur le fond aux arguments avancés dans le mémoire transmis au mois de juillet. La commune de Gasville-Oisème ne saurait se satisfaire d’une simple transmission de ses données aux concessionnaires candidats, ce qui revient à se défausser de ses responsabilités. Les habitants attendent des réponses, ils ont le droit d’être informés. Est-ce là, madame le Préfet, le changement de méthode annoncé par le président Macron ?
« Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs », disait le Président Chirac au sommet de la Terre en 2002. Ce n’était pas un simple constat, c’était aussi une prophétie. C’était il y a 20 ans, et rien n’a changé. Il est de notre responsabilité de ne pas l’accepter."