Le mythe de l'avion vert
Suite aux échanges musclés que j’ai eus avec l’opposition lors de la dernière session plénière régionale, j’ai creusé l’argumentaire que je vous offre ci-dessous pour démonter rationnellement le mythe de l’avion écologique. Je m’étais en effet opposé au vœu porté par la droite, notamment le député Forissier, de faire réaliser des études prospectives pour une stratégie aéroportuaire régionale accompagnant la relance du trafic aérien commercial. Le voici :
Face aux bouleversements climatiques, à l’effondrement de la biodiversité et au dépassement de l‘ensemble des limites planétaires, la sortie des logiques productivistes et extractivistes au profit d’une sobriété partagée est incontournable pour envisager le futur des sociétés humaines. Pourtant, le déni et les enjeux de pouvoir et de domination poussent de nombreux décideurs à refuser cette métamorphose vitale en développant leur croyance en la sainte technologie.
Le discours sur l’« avion vert » en est la parfaite illustration. Qu’est-ce que l’aviation civile aujourd’hui ?
- Environ 2,5% des émissions de gaz à effet de serre émis dans le monde, mais cet indicateur ne tient pas compte de l’effet sur le climat des trainées de condensation qui, selon les spécialistes, double l’impact de la combustion du kérosène.
- 50% de ces émissions sont dus aux déplacements de 1% de la population mondiale.
- 80% de la population mondiale n’a jamais pris l’avion.
- Le trafic aérien augmente de 5% par an, tandis que les efforts d’efficacité en cours progressent de 1,5% par an.
Ce secteur de l’activité humaine est donc dans une dynamique contraire aux objectifs de lutte contre les inégalités et pour la sauvegarde des communs vivants, sauf à parier sur le miracle de l’aviation décarbonée…
Pour ce faire, l’Europe vise un taux d’utilisation des « carburants durables » de 70% en 2050 (0,2% aujourd’hui !). Les autres voies de décarbonation sont illusoires pour les avions de ligne : en effet le poids des batteries électriques ou le volume d’hydrogène (stocké à -253 °C), trois fois supérieur au volume de kérosène équivalent nécessitent une autre conception des aéronefs et le renouvellement complet des flottes commerciales : nous n’en avons plus le temps ni les ressources.
Parlons donc des « carburants durables » (SAF en anglais : Sustainable Aéronautic Fuel) appelés à remplacer « proprement » le kérosène. Ils peuvent être produits à partir de déchets de plastique ou organique, de biomasse (sans entrer en concurrence avec la production alimentaire, évidemment) ou d’hydrogène. Le point commun de toutes ces techniques est le recours massif à l’électricité dans les processus de production qui doivent se concentrer à proximité des aéroports. Pour le trafic actuellement assuré, la Lufthansa a évalué ses besoins électriques pour décarboner sa flotte à 50% de la consommation totale de l’Allemagne ! On estime par ailleurs que le besoin d’avitaillement de l’aéroport Charles de Gaulle exigerait la construction sur site de l’équivalent de trois centrales nucléaires de type EPR.
La pierre philosophale n’existe toujours pas, la rotation planétaire est le seul mouvement perpétuel connu et l’attraction terrestre la loi universelle : pour faire voler personnes et marchandises d’un continent à l’autre, il faudra toujours produire de l’énergie, c’est-à-dire extraire des ressources, altérer des paysages et polluer.
Le respect dû à la santé et à la dignité humaines comme aux limites planétaires fera bientôt de l’économie l’art de vivre en pénurie, comme avant la découverte des hydrocarbures accumulés en 300 millions d’années depuis la fin du carbonifère et dont nous aurons pillé les réserves facilement accessibles en à peine deux cents ans.
Le peu d’énergie durable et de matériaux que nous réussirons à produire et recycler bientôt dans ce cadre devront faire l’objet d’un usage pertinent et partagé. Notre responsabilité sera d’abord de prioriser les besoins collectifs d’alimentation, de soin et de logement.
L’avion vert existe, j’en ai rêvé la nuit dernière : un petit homme vert m’y faisait monter...
Jean-François Bridet