Le Gainsbook, en studio avec Serge Gainsbourg, de Geudin, Votel et Szpirglas

De Londres à Kingston et New York en passant par les studios parisiens, Christophe Geudin, Andy Votel et Jérémie Szpirglas ont réalisé un formidable travail de fourmi pour nous livrer les secrets de fabrication des albums studio de Serge Gainsbourg. Nourris de témoignages de musiciens, arrangeurs, Le Gainsbook : en studio avec Serge Gainsbourg nous ouvre les portes de la conception de chacun des disques du grand Serge.

Il aura fallu vingt ans d’enquête aux auteurs pour découvrir les sources d’inspiration musicales et poétiques d’un artiste surprenant. Le résultat est d’ailleurs bluffant de vérité. Parfaitement documenté, voire extrêmement documenté, ce pavé de près de 500 pages nous donne à voir en filigrane le travail de Serge Gainsbourg. Un homme méticuleux jamais aussi bon que dans l’urgence d’un enregistrement pour lui-même, Jane Birking, Vanessa Paradis et tant d’autres.

Serge Gainsbourg en studio, c’est la fulgurance des mots, de la musique. Féru de musique classique, il a souvent emprunté quelques thèmes – ou plans comme on dit aujourd’hui – à des compositeurs plus que reconnus. Mais le principal chez Gainsbourg réside dans les mots et les textes que l’on aurait peut-être tendance à trop sous-estimer. Même si l’homme ne se faisait aucune illusion sur l’aspect mineur de son travail en comparaison aux génies de la poésie et de la musique classique, il n’en demeure pas moins vrai que Gainsbourg s’est bien amusé avec la langue française en créant un langage le rapprochant de certains poètes. Tout comme Dali, Gainsbourg a ses périodes. Si la dernière est moins intéressante, son œuvre recèle de petits chefs d’œuvres comme l’album concept L’Homme à la tête de chou mettant bien en avant le côté rimbaldien du poète Gainsbourg tout comme le titre Dépression au-dessus du jardin.

Ma journée en studio avec Serge Gainsbourg

Côté musique, je l’ai vu en action pour l’enregistrement de la partition du film Tenue de Soirée en mars 1986 au studio Ferber à Paris. Après une interview d’une heure sans ambages dans une atmosphère feutrée, nous nous rendons dans la rue pour une séance photo en extérieur. Il aperçoit des grilles et me dit : « On va faire les photos ici avec des barreaux derrière comme en prison ». You’re Under Arrest n’est visiblement pas très loin. Avec délicatesse et beaucoup de respect, il m’invite sur le chemin du retour à le voir travailler.

Dans le studio, l’ambiance est studieuse avec ‘’Slimou’’ Slim Pezin à la guitare travaillant dans son coin tout comme d’autres ‘’requins’’. Jean-Pierre Sabar, arrangeur en vogue, est également présent. Mais le contact entre les deux hommes n’est pas très chaleureux, voire quelque peu distant. Chacun restant dans son pré carré. A l’arrivée de Bertrand Blier, très hiératique avec sa pipe au bec, Serge Gainsbourg tente d’imposer un thème que lui a inspiré une des scènes de Miou Miou. Pour le cinéaste qu’il est, il est impératif de glisser quelques notes sur cette partie du film. Après avoir revu cette scène sur écran et malgré la supplique de Serge, Bertrand Blier, inflexible, lui donne une fin de non-recevoir. Déçu, Serge retourne à sa table de travail. L’ambiance est pesante dans le studio où personne ne se parle et avance la moindre idée.

Debout derrière Serge, je l’observe. Le temps est comme suspendu. Je m’approche et instinctivement je prends sa tête dans ma main comme on le ferait à un enfant. Il se retourne et m’éclaire de son regard bienveillant. « Que veux-tu que l’on retienne de toi ? » lui dis-je avant de prendre congés. L’homme à la cervelle d’or me répond sourire aux lèvres : « Professionnel ! »

Pascal Hébert

Le Gainsbook : en studio avec Serge Gainsbourg, de Christophe Geudin, Andy Votel et Jérémie Szpirglas, éditions Seghers, 447 pages, 42 euros.