L'avenir des simples
Jean Rouaud est un écrivain connu pour son roman Les champs d’honneur, prix Goncourt 1990. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, mais ce dernier est un essai particulièrement virulent engagé sur le terrain de l’écologie politique.
Cet ouvrage de près de 250 pages, sous-titré « petit traité de résistance », brosse un tableau presque complet, chargé d’ironie et d’humour, de tout ce que le néolibéralisme nous oblige à avaler. Tout y passe : la croissance synonyme de progrès, l’agro-business considéré comme la modernité, l’interdiction des semences paysannes, la fin des herboristes, le conditionnement des consommateurs à toujours acheter plus d’appareils électriques, de meubles en kit, de plats cuisinés chargés de sucre et de sel, de viande pour tous les repas… Il montre ainsi comment l’abondance de produits manufacturés à bas prix, a ruiné nos savoirs faire comme la cuisine, le jardinage, le bricolage, la couture ou le tricot. Il souligne aussi ce que les multinationales, qu’il appelle « multi-monstres », mettent en œuvre pour semer le doute sur la nocivité de leurs produits et leur responsabilité dans les maladies modernes comme l’obésité, le diabète, les cancers, etc . L’auteur fait la promotion du végétarisme qui éviterait bien du gaspillage de terres consacrées à l’alimentation du bétail et d’énergie dans le transport à travers l’océan, sans compter avec le bien-être animal.
Le titre de cet essai a sa source dans un chapitre sur la chanson traditionnelle adaptée par Paul Simon : « Are you going to Scarborough fair, parsley, sage, rosemary and thyme. Remplacer persil, sauge, romarin et thym par Prozac, Spasfon, statines et Stilnox, on ne perd pas seulement en poésie. » L’herboristerie est un savoir aujourd’hui disparu. Il dénonce encore la folie de la vitesse, les gains de productivité, le travail à flux tendu jusqu’au « burn-out » L’auteur s’attaque également à la toute puissance des grands groupes et des banques qui manipulent les gouvernements et affaiblissent la démocratie. Il rappelle que le libre échange est avant tout fondé sur le pillage et l’exploitation abusive jusqu’à l’épuisement des ressources.
Un dernier chapitre explore les solutions possibles, si certaines sont connues, l’une d’elle est originale : « proposer que tout salarié puisse demander de travailler à mi-temps, dont l’autre moitié sera compensée par un demi-smic quel que soit son salaire. » mais surtout : traquer les fraudes fiscales, ou plus énergique : « faire sauter la Légion sur les paradis fiscaux », taxer les GAFA, imposer la taxe Tobin et créer des monnaies locales. Il appelle à fédérer les initiatives de résistances pour constituer des réseaux dynamiques.
Jean Rouaud ne croit plus à l’utilité des élections à l’exception de l’élection municipale, parce qu’on peut considérer qu’elle a une capacité à améliorer notre quotidien. Sa philosophie politique, il la résume par cette formule : « Plutôt que le grand soir, un amoncellement de petits matins. »
La liste est longue des écrivains concernés par l’écologie, c’est signe qu’il y a urgence, mais les présidents, ministres et PDG du CAC 40 prennent-ils encore le temps de lire ?
Jean Rouaud, L’avenir des simples, petit traité de résistance, Grasset, 2020.
Denys Calu