La vie heureuse, de David Foenkinos
« Une autre vie, Il est peut-être une autre vie,
Loin de ce monde bien trop petit,
Une autre vie,
Crois-tu qu'il est une autre vie,
De grand silence et d'infini ? », écrit le poète.
Une autre vie, c’est bien là le thème de La vie heureuse, le dernier roman de l’excellent David Foenkinos. Mine de rien, sans avoir l’air d’y toucher, le romancier nous donne sa lecture de ce que l’humanité a traversé depuis l’épisode inédit du Covid.
Avec ses personnages hétéroclites, David Foenkinos appuie sur le comportement individuel des hommes interrompus dans la marche aveugle de leur existence. Eric Kherson suit une trajectoire sans encombre chez Décathlon jusqu’à ce que la destinée frappe à sa porte ou plutôt via un message personnel sur Facebook.
Amélie, en poste dans un ministère en charge de faire de la France un pays attractif pour les investisseurs étrangers, a pris contact avec son ancien camarade de classe pour lui proposer de travailler avec elle. Prêt à se lancer dans l’aventure avec Amélie surgie du passé, Eric largue les amarres pour partir voguer sur les flots de la mer politique plutôt ombrageuse.
Un voyage à Séoul, afin de convaincre le PDG de Samsung d’installer une usine à Mulhouse, fait basculer Eric dans une espèce de torpeur. Abandonnant Amélie à son exposé avec les dirigeants de Samsung, Eric se perd dans Séoul... pour mieux se retrouver. Il met les pieds dans un magasin promettant une vie meilleure à ceux qui vivront leur propre enterrement ! Eric tentera cette expérience aussi surprenante que singulière pour un occidental.
Dans cette échoppe spécialisée, on propose, à ceux qui désirent franchir le pas, de commencer par mourir virtuellement. Le cérémonial est bien organisé jusqu’à la mise en bière. Après quelques minutes, le candidat frappe dans son cercueil pour sortir des ténèbres. Eric, transformé par ce voyage intérieur, regardera la vie sous un autre angle en commençant par importer en France cette méthode inclassable.
Et ça marche au point que des succursales voient le jour dans plusieurs villes de l’hexagone. Amélie, comme de nombreuses personnes mises sous pression dans leur milieu professionnel, s’interroge de son côté sur le sens donné à sa vie et à son travail. Ce n’est sans doute pas un hasard si elle retrouve Eric pour tenter elle aussi l’expérience de la mort virtuelle.
La suite de cette histoire contredit merveilleusement cette autre pensée de l’auteur : « N’y a-t-il pas une forme de renoncement au présent dans toute exaltation du passé ? »
David Foenkinos décrypte en parallèle l’ambiance d’une société en plein doute et dont les moindres échos sont amplifiés par les réseaux sociaux : « De plus en plus de jeunes étaient déprimés par la perspective sombre que représentait l’avenir de la planète, notamment face aux catastrophes climatiques. La nouvelle génération semblait également fragilisée par la puissance des réseaux sociaux. Plus que jamais, l’humanité se construisait dans le poison de la comparaison. On vivait sa vie en regardant celle des autres, ce qui ne manquait pas d’accentuer le moindre sentiment d’échec personnel. Il devenait presque inévitable de se sentir inférieur ou misérable.» Que dire de plus ?
« Une autre vie,
Il est sans doute une autre vie,
Au bout du rêve, de la folie,
Une autre vie ! »
Pascal Hébert
La vie heureuse, de David Foenkinos, éditions Gallimard, 206 pages, 19 euros.
Photo : Francesca Mantovani