La panthère des neiges, de Sylvain Tesson
Invité surprise du Renaudot, Sylvain Tesson est à l’image de ce prix qui lui a été attribué alors qu’il n’était pas sur la liste des jurés. Sylvain Tesson n’est jamais là où l’on pense qu’il va atterrir. Homme à part dans ce monde en fusion, voyageur impénitent, sondeur des âmes de cette humanité en pleine folie, ce drôle de mec, aussi insaisissable que la panthère des neiges qu’il a traquée, est devenu quelque part un lanceur d’alerte.
Oui, Sylvain Tesson ne cesse de nous mettre en garde contre notre système de consommation mettant en péril la planète. Oui, l’homme depuis qu’il est, n’arrête pas de puiser dans les réserves de ce monde pour étancher une soif qui vient de la nuit des temps. Dans son excellent livre La panthère des neiges, l’écrivain part avec trois complices à la recherche de cet animal qui se cache loin des hommes dans un paysage laiteux du Tibet. Dans cette nature hostile à l’homme, la panthère a choisi de vivre sans habitude. Elle se promène et vit tout simplement loin des regards. La recherche de nourriture restant sa seule distraction. Tout au long de ce périple, à – 30 degrés, Sylvain Tesson ne cesse de penser à notre condition d’homme si loin de la nature. Si loin du monde animal dont les espèces disparaissent à la vitesse grand V.
Dans ce monde, tenu d’une main de fer par l’homme depuis quelques siècles, le déséquilibre est plus que palpable. Dans cette chasse, non meurtrière est-il besoin de le préciser, Sylvain Tesson nous fait partager l’art de la patience. Comment il calque sa respiration sur celle du photographe Vincent Munier pour rester des heures à attendre la bête sauvage. Mais lequel des deux est le plus sauvage ? Et lorsqu’il arrive à atteindre le graal, Tesson repense à ceux qui l’ont marqué dans sa jeune vie : sa mère décédée ainsi qu’un amour de jeunesse. Cette traque se transforme en travail d’introspection qui relativise la place de l’homme sur cette planète : « Ce jour- là, pour moi, la panthère fut ma pauvre mère.
Et cette idée de la circulation des âmes à travers l’immense stock planétaire de chair vivante, cette même idée simultanément formulée, au VIe siècle avant le Christ, en des points géographiquement éloignés – Grèce et plaine indo-népalaise – par Pythagore et Bouddha, me semblait un élixir de consolation. » explique Sylvain Tesson qui dit sublimement : « J’avais vu la panthère, j’avais volé le feu. Je portais en moi le tison. J’avais appris que la patience était une vertu suprême, la plus élégante et la plus oubliée. Elle aidait à aimer le monde avant de prétendre la transformer. » Un autre poète, Michel Jonasz, avait écrit en 1988, comme un appel : « Ôm les hommes tranquilles, Laissez loin le bruit des villes. Tous nos vieux navires ont fait naufrage. Hissez les voiles, Pour aller respirer l’air du large, Dormir sous les étoiles. » Il faut lire Sylvain Tesson !
Pascal Hébert
La panthère des neiges, de Sylvain Tesson, éditions Gallimard, 166 pages, 18 €.