Kaddish pour un amour, de Karine Tuil

Karine Tuil nous réserve une belle surprise en ce début d’année en publiant un livre surprenant et réussi. Romancière à succès, Karine Tuil a délaissé un instant la prose pour proposer un recueil de poèmes Kaddish pour un amour.

La poésie n’est plus à la mode, mais elle existe, même si elle reste confidentielle, réservée à quelques passionnés, voire initiés. Chez les romanciers, certains en ont fait un exercice quotidien, comme Jacques Chessex. Le prix Goncourt 1973 et prix Goncourt de la Poésie 2004 rédigeait chaque matin un poème en guise d’exercice avant de se plonger dans l’écriture d’un roman. Le regard porté sur le cimetière, situé face à la fenêtre de son bureau, l’auteur de L’Ogre trouvait l’inspiration dans les brumes du matin.

Karine Tuil s’est lancée dans un exercice intelligent et maîtrisé pour parler de la fin d’un amour en s’inspirant du kaddish. Le kaddish du deuil est effectivement un bon support pour bâtir une prière destinée à ce qui a pris fin comme une histoire d’amour. Utilisant à souhait cette supplique pour exprimer ses sentiments, Karine Tuil dévoile une partie d’elle que l’on peut entrevoir dans ses romans et qu’elle a décidé de dévoiler dans ce recueil.

Si la poésie est un moyen de mettre en avant ses sentiments les plus profonds, Karine Tuil n’a pas hésité à ouvrir toutes les fenêtres de son être pour exprimer la partie la plus intime de son âme. Véritable imploration pour l’homme aimé, elle aborde avec la peine de la femme inconsolable, la fragilité de l’amour qui mène à la séparation. Il y a beaucoup d’émotion dans ces poèmes assez courts avec des mots choisis et efficaces. C’est là tout le talent de Karine Tuil qui va droit au cœur en illuminant les sentiments sans ambages. Les doutes succèdent aux affirmations dans une ronde religieuse unissant ceux qui s’aiment. Et de l’amour, la brillante romancière n’en manque pas !

Pascal Hébert
(Photo Francesca Mantovani)

Kaddish pour un amour, de Karine Tuil, éditions Gallimard, 123 pages.

-----------

Trois questions à Karine Tuil : « Ce recueil qui aborde le thème de la rupture marque aussi un tournant dans mon travail »

Comment la rupture amoureuse, exprimée à travers le kaddish, t’es venue ?

C’est une idée que je portais en moi depuis très longtemps. Il existe beaucoup de prières dans le judaïsme mais aucune pour la fin d’un amour – qui est pourtant un événement déterminant dans une vie, qui peut conditionner notre avenir, notre relation aux autres et, pour un écrivain, son travail. Le kaddish, la prière des morts dans le judaïsme – qui est en réalité une sanctification du Nom divin – est récitée fréquemment et j’ai eu l’idée d’écrire un kaddish pour un amour : une femme exprime son amour pour l’homme qu’elle aime et qui est déifié, et sa douleur de l’avoir perdu. Le kaddish devient alors une prière universelle pour le retour de l’être aimé.
Il y a une gravité particulière dans la séparation amoureuse, une forme de douleur, de dramaturgie qui n’est pas sans poésie. C’est ce que j’avais envie de retranscrire sous la forme de poèmes.

Dans Le vrai et le faux, ce poème traduit bien les différences de vue dans l’amour. Peux-tu aller plus loin avec ces vers ? : Tu disais : tu es ma vie/C’est toi que j’aime/C’était l’amour/Que tu aimais.

On exprime souvent son désir d’être aimé mais c’est surtout cet absolu de l’amour que l’on recherche, absolu inatteignable, que tant d’auteurs ont décrit. C’est un idéal, une utopie car dans cette apparente unité, celui qui aime est tôt ou tard confronté à l’altérité, à la singularité, peut-être même à l’étrangeté de l’être aimé. L’amour est toujours impossible. Dans mon recueil, on découvre deux êtres qui se heurtent à leurs propres résistances, leurs individualités. Ils disent : tu ne sais pas aimer. Il y a de la grandeur dans cette espérance et ce renoncement. Là se joue la tragédie du sentiment amoureux où tout est attente, exaltation et déception.

Quel est ton rapport à la poésie ?

J’ai commencé par écrire des poèmes avant de m’essayer au genre romanesque. Certains poètes ont laissé leur empreinte en moi, ils ont été cette ouverture au monde sensible : Celan, Brodsky, Tsvetaïeva, Borges, Aragon, Eluard, Darwich, Amichaï, Akhmatova… Dans leur œuvre, j’ai parfois retrouvé mes propres conflits intérieurs.
Ce recueil qui aborde le thème de la rupture marque aussi un tournant dans mon travail. L’écrire a été une façon de faire un pas de côté, de revenir à mon matériau, le mot, dans sa forme la plus sobre, la plus pure. Il n’y a pas d’autre enjeu que littéraire. Il s’agit de donner à ressentir la brûlure du monde, qui est toujours liée à notre faculté d’aimer.

Recueilli par P.H.