Jacques Gaillot, l'humain avant tout
Jacques Gaillot, c’est monseigneur Gaillot qui, le 13 janvier 1995, avait été relevé de sa charge d’évêque d’Evreux et qui avait été nommé, par la suite, évêque de Partenia « diocèse immatériel ». Il avait par ses actions bousculé sa hiérarchie : soutien à des objecteurs de conscience, hostilité à la dissuasion nucléaire, prise de position pour le désarmement, pour l’arrêt des essais nucléaires français dans le Pacifique, contre l’Apartheid en Afrique du Sud, rencontre avec le chef palestinien Yasser Arafat, proposition de l’ordination des hommes mariés, opposition à la guerre du Golfe, militance contre l’exclusion…
Aujourd’hui, à plus de 80 ans, Jacques Gaillot poursuit ses combats, passionné par toute l’actualité du monde. Certes « silence et prière » dans la congrégation dans laquelle il vit, mais aussi prises de position, interventions, soutiens. Un « évêque dans la cité » qui a toujours parlé réfugiés, sans-papiers, prisons, Moyen-Orient, Palestine, djihadisme, Islam, pape François, place de la femme dans l’Eglise, prêtres mariés, pédophilie, laïcité. Et comme il le disait lui-même : « je guette les libérations des peuples ».
Et sa définition de la laïcité : « Elle permet de vivre ensemble, dans le respect des autres. Tout citoyen a le droit de croire ou de ne pas croire. Il y a un droit à l’incroyance. La laïcité traduit une revendication d’autonomie de l’individu dans sa raison ou dans sa conscience. Cette liberté de l’individu est précieuse pour le vivre ensemble ». Et « avant d’être d’un pays, d’une religion, nous sommes des êtres humains ».
Pendant la pandémie du Covid19 que nous vivons, il s’est senti « en communion avec la douleur de l’humanité » ; « moment rare où l’humanité se découvre en communion » ; « c’est une invitation à prendre soin de la vie et de l’humain avec tendresse ». Toujours aux côtés des plus démunis, il met l’accent sur les hommes et les femmes qu’il a rencontrés : « cette femme qui vit dans un taudis… humide avec des cafards » et qui « a dû arrêter son travail pour s’occuper de ses enfants » ; « ces étrangers sans papiers… entassés dans un dortoir avec des lits à étages » ; « ces détenus dans des prisons surpeuplées » ; « ceux qui sont à la rue, se retrouvent seuls…, les bénévoles des associations sont confinés ».
« Une société se juge à la manière dont elle traite les plus fragiles, les malades, les prisonniers, les migrants, les gens de la rue… Ils ont autant besoin de respect que de secours ». « Avec le confinement, j’étais frustré des rencontres habituelles qui ne pouvaient plus avoir lieu. Il me restait le courrier et le téléphone… Je fais partie d’une équipe pour le service téléphonique des personnes qui sont en EHPAD ».
Une pensée toute particulière pour « la présence indispensable des équipes de soignants avec leurs gestes d’humanité qui peuvent sauver la vie ; ces blouses blanches qui se donnent sans compter au risque d’être contaminés à leur tour, et relèvent le sens de la passion du Christ : l’amour vécu jusqu’au bout malgré le déchainement du mal ».
Jacques Gaillot s’interroge, à propos de cette pandémie mondiale, sur la conversion écologique de l’Eglise et le sens des paroles du pape François qu’il aime citer : » Ecouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres. La disparition d’une culture peut être aussi grave ou plus grave que la disparition d’une espèce animale ou végétale. Tout est lié ». Il faut donc réussir la transition énergétique. « A Paris, il y a une diminution du gaz carbonique, grâce au peu de circulation des voitures et des avions. C’est un encouragement à ne pas repartir comme avant ».
Ainsi, pour Jacques Gaillot, c’est « l’humain d’abord ». Il raconte. « Au cours d’un repas, mon voisin de table qui est prêtre, m’informe qu’il a reçu une pétition pour signature : « on demande d’anticiper l’ouverture des lieux de culte. Qu’en penses-tu ? ». Ce genre de demande provoque en moi un réflexe d’agacement. Je supporte mal que l’Eglise pense à elle, se préoccupe d’elle. L’urgence est ailleurs. Ce n’est pas le culte qui est premier. Ni la pratique religieuse. Ce qui intéresse le plus l’homme de Nazareth, ce n’est pas la religion, c’est un monde plus humain, plus solidaire, plus juste. Son bonheur c’est de nous voir heureux tous, en commençant par les derniers. Il est venu pour libérer les opprimés. Sa mission est de libérer, pas de restaurer. Etre chrétien c’est avoir la passion de l’homme. Aujourd’hui avec la pandémie, tant de gens sont au chômage, tant de familles ne peuvent payer leur loyer, tant de gens connaissent la maladie et la solitude… Le beau risque de l’Eglise est d’être à leur côté. Sans hésiter, sans attendre. L’Eglise n’est jamais elle-même sans les pauvres. L’important est d’aller vers les blessés de la vie, l’humain d’abord ! ».
Jacques Gaillot reste totalement fidèle à ses convictions d’il y a 25 ans, lorsqu’il fut relevé de ses fonctions d’évêque. On peut se rappeler son communiqué de presse de l’époque : « j’ai été convoqué à Rome par le cardinal Gantin, préfet de la Congrégation des évêques, le 12 janvier à 9h30. Les menaces qui pesaient sur moi depuis un certain temps ont été exécutées. Le couperet est tombé. On m’a notifié que le siège d’Evreux serait déclaré vacant, le jour suivant à 12 heures. On m’a invité à donner ma démission, chose que j’ai cru ne pas devoir faire ». Le pape de 1995 était Jean-Paul II.
Monseigneur Gaillot fut nommé évêque de Partenia, ville sur les hauts plateaux de Sétif, en Algérie, détruite par les Vandales au Vème siècle. Il était nommé là où, jeune conscrit, il avait accompli son service militaire ! Très vite, sans palais épiscopal, il s’installa dans un bâtiment occupé, de la rue du Dragon, à Paris, au milieu d’immigrants sans-papiers. Il devient alors « évêque des autres », des « sans », sans patrie, sans droits, sans foyer, sans abri, détenus, migrants, prostituées, palestiniens… Il est toujours avec eux.
Alain Roumestand