Comores, Mayotte, un avenir commun ?

Le gouvernement français a annoncé le confinement général de l’île de Mayotte dans l’océan indien, d’au moins trois semaines, pour faire face à l’apparition des variants Covid, britannique et sud-africain. Le 1er février, trois communes, Bouéni, Pamandzi, Dzaoudzi Labattoir, étaient confinées, car le taux d’incidence était particulièrement élevé. Et donc pour limiter la forte circulation du virus, le confinement a été étendu à l’ensemble du territoire, décision édictée par le ministère des Outre-mer.

Une conférence doit se tenir sur l’accord-cadre signé en 2019 entre les Comores et la France. Cet accord impliquait aux Comores l’Agence Française de Développement, à hauteur de 150 millions d’euros sur trois ans pour le financement de projets, notamment en matière de santé. Les parlementaires de Mayotte, le président du département, le président de l’association des maires n’y participeront pas, car ils considèrent que les Comores ne respectent pas l’accord en ne contrôlant pas les frontières maritimes et l’émigration au départ des Comores vers Mayotte. Un « collectif des citoyens » exprime le ras-le-bol des Mahorais, habitants de Mayotte, face à la pression migratoire comorienne.

Deux évènements dans l’actualité de Mayotte et des Comores, ces îles (« 4 cailloux ») de l’océan indien situées à plus de 8 000 km de la France et qui sont si mal connues de l’opinion publique française.

UN MEME ARCHIPEL

L’Union des Comores est un Etat d’Afrique australe dans le canal du Mozambique, avec une grande île, la Grande Comore, avec sa capitale Moroni, flanquée de deux autres îles, Mohéli et Anjouan. C’est sur le papier une république fédérale avec un régime parlementaire. Près de 900 000 habitants. Les Comores font partie de l’Union Africaine, de la Ligue arabe, de l’Organisation de la coopération islamique et de l’organisation internationale de la Francophonie.

Mayotte (Maoré) est un département français, situé à 300 km de Madagascar, administré par la France, ses services préfectoraux, avec un conseil départemental, avec ses 13 cantons, constituant une collectivité territoriale unique établie à Mamoudzou. Un peu plus de 250 000 habitants. Mayotte, ce sont deux îles principales : Grande Terre, pôle économique et politique, Petite Terre, et une série de petites îles (Mtsamboro, Mbouzi, Bandrelé, Sable blanc). Cet ensemble est reconnu comme région ultrapériphérique de l’Union Européenne et sa monnaie est l’euro.

COLONISATION ET DECOLONISATION

L’histoire des relations entre la France et les Comores est classique, historiquement parlant. L’indépendance des Comores date de juillet 1975. Pendant près d’un siècle et demi, la France a été à la manoeuvre sur les îles de l’archipel comorien. Mayotte avait été achetée sous le règne de Louis-Philippe en avril 1841, au sultan local qui s’était placé sous la protection française. Mayotte était en effet une position maritime de premier ordre pour le royaume de France. Le même gouvernement de Louis-Philippe abolissait l’esclavage, la traite arabe en avril 1846. Mais les autres territoires comoriens ont eu bien plus tard le statut de protectorat colonial, sous la direction du gouverneur de Mayotte. Mayotte et ses « dépendances » ont été rattachées à Madagascar en 1912. Puis, les Comores deviennent territoire d’outre-mer dans l’Union française au sortir de la Seconde Guerre mondiale.

En 1974, une consultation de la population est organisée, suite à l’accord de juin 1973, sur une éventuelle indépendance en concertation. Mayotte a décidé alors son maintien dans la sphère française (36,78% des votants pour l’indépendance, 63,8% contre) alors que les trois autres îles ont voté massivement pour l’indépendance. L’indépendance unilatérale de l’État comorien fut actée en juillet 1975. Un nouveau vote intervint à Mayotte en 1976 pour un rattachement définitif à la République française. Alors que la république fédérale islamique des Comores, Union des Comores, qui revendiquait la souveraineté sur Mayotte, rentrait dans une ère d’instabilité et de coups d’État impliquant aussi des mercenaires français, les îles Anjouan et Mohéli demandent en 1997 leur indépendance de la République comorienne. Puis, en 1998, Mohéli rentre dans le rang, au contraire de Anjouan qui fait sécession jusqu’en mars 2008. En 2009, un référendum local fait de Mayotte région d’outre-mer, un département avec un conseil départemental. En 2011, les compétences d’un conseil régional sont acquises.

Depuis plusieurs années, la situation des deux entités Mayotte et Comores n’est pas bonne.

UNE SITUATION DEGRADEE DANS LES COMORES

Dans les Comores, comme l’écrit Cheikh Ali Abdourahamane, juriste comorien et membre du bureau politique du parti Shuma (« parti de la fraternité et de l’unité des îles ») dans son livre « Genèse de l’état-nation et tendances centrifuges dans une ancienne colonie française », « les tendances centrifuges ne cessent de s’accentuer. Le gouvernement français a procédé à l’excision de Mayotte de l’État comorien lors de l’accession de ce dernier à l’indépendance. Il tente de justifier maladroitement cette violation du principe fondamental de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, par une prétendue spécificité mahoraise au sein de l’Archipel des Comores ». Cheikh Ali Abdourahamane souhaite faciliter le rapprochement entre Mayotte et la partie indépendante de l’Archipel, car « les véritables enjeux pour notre pays, c’est sa survie en tant qu’État, c’est son existence en tant que nation. Au-delà de la différence de nos origines géographiques, au-delà de nos différences idéologiques, nous devons travailler la main dans la main pour notre cohésion nationale. Notre credo à tous doit être : » un peuple, une nation, un État ». Le sentiment d’appartenance des Mahorais, des Anjouanais, des Mohéliens et des Grands Comoriens à une même nation existait avant la colonisation française ».

Les observateurs notent une forte progression de la précarité dans la partie indépendante des Comores, un népotisme érigé en système depuis l’accession au pouvoir de Saïd Mohamed Djohar renversé en 1995 par des mercenaires français, continué par l’actuel colonel-président Assoumani Azali arrivé au pouvoir à la suite d’un coup d’État en 1999. L’émigration est intense, partie de Anjouan pour arriver à Mayotte et on compte au moins 20 000 morts dans le bras de mer séparant Anjouan et Mayotte (70 km) avec les Kwassa-Kwassa, ces embarcations de pêche à fond plat si dangereuses. Les actes de piraterie au large de la Corne de l’Afrique menacent la navigation dans le canal du Mozambique. Ces handicaps feraient presque oublier les ressources du sous-sol, manganèse, fer, cobalt, métaux rares.

Cheikh Ali Abdourahamane qui fut directeur de cabinet du ministère de l’Éducation nationale, de la francophonie, de la recherche scientifique, de la culture, de la jeunesse et des sports, en 1996, estime que le chef de l’État, « le colonel Assoumani Azali considère que la légalité de son accession à la magistrature suprême l’affranchit de facto des lois et des règlements qui régissent le pays et l’autorise à gérer les Comores comme sa chose ». Cheikh Ali Abdourahamane pense que « le pays a besoin dans le contexte actuel d’une constitution qui garantisse la présidence tournante… L’autonomie des îles est gage de démocratie et de meilleure implication de l’ensemble des citoyens dans la gestion de la chose publique… L’implantation des infrastructures et services publics (électricité, téléphone, réseaux d’adduction d’eau et d’assainissement, hôpitaux, écoles) doit se faire à la fois dans un souci d’efficacité économique et de justice territoriale… Les traitements discriminatoires qui caractérisent souvent l’action des services de police et de justice sont une plaie béante dans le corps de la république. Comment bâtir un état- nation lorsque l’état sous-traite la gestion des conflits intra- et inter-villageois à des autorités coutumières de moins en moins efficaces ? »

Cheikh Ali Abdourahamane souhaite que s’engagent des négociations pour l’exercice de la souveraineté comorienne sur l’île de Mayotte revendiquée par toutes les parties. Il faut encourager les échanges culturels. Une réforme institutionnelle, un plan de développement économique, la protection de l’environnement et la sécurité constituent les piliers de la nouvelle politique à mener. Mais la majorité des politiciens comoriens semblent indifférents et « la France s’enlise dans le bourbier mahorais. »

UNE SITUATION DELABREE A MAYOTTE

A Mayotte, les indicateurs sont au rouge pour la fécondité et la croissance démographique excessives, le pourcentage de la population en dessous du seuil de pauvreté, le chômage des 16-24 ans. S’y ajoutent les résidences précaires en cases de tôle, l’adduction d’eau et la vétusté du réseau de distribution. L’arrivée massive de migrants en provenance des îles comoriennes accentue les problèmes endémiques. Près de la moitié des habitants de ce département français de l’océan indien sont étrangers à ce département et de nombreux entrepreneurs étrangers présents sur le territoire sont en situation irrégulière. La départementalisation avait fait naître des espoirs mais les attentes des Mahorais en matière d’aides sociales ont été déçues ; les promesses d’égalité en matière de droits économiques et sociaux n’ont pas été réalisées pour l’ensemble de la population.

Les taudis, le problème du traitement des déchets (y compris médicaux) sans collecte véritable, les décharges sauvages, l’écoulement libre des égouts, entrainent régulièrement de forts moments de contestation, des grèves portant aussi sur le coût de la vie. Barrages routiers, pillages de magasins, caillassages, opérations île morte, se succèdent. S’y ajoutent les flambées de fort mécontentement contre l’insécurité et la violence des bandes de jeunes délinquants, souvent mineurs isolés. Et des plans de rattrapage des gouvernements français pour améliorer la santé, la sécurité et les infrastructures sont présentés. Une Agence Régionale de Santé a été créée en 2020, avec à sa tête Dominique Voynet ex-ministre écologiste. Les transferts financiers de la métropole (Marseille est dite « la 5 ème île comorienne »), les fonds structurels de l’Union Européenne sont sans aucun doute utiles, mais pas toujours utilisés à bon escient. Et les pesanteurs sont toujours présentes. Une déliquescence certaine continue.

L’île vit sur des importations massives. Ce n’est pas l’ylang-ylang, le girofle, les plantes odoriférantes qui peuvent sauver l’île. Le tertiaire administratif est surdimensionné et souvent dans l’inefficacité. Mayotte avec sa barrière de corail, son lagon et sa belle réserve marine, pourrait attirer un tourisme de bon aloi, mais les capacités hôtelières sont très réduites et l’insécurité, la misère qui règnent sur l’île, dissuadent les plus hardis. Aquaculture polluée, agriculture avec utilisation excessive de pesticides, surexploitation des zones de pêche complètent ce tableau peu engageant.

Malgré la vingtaine de résolutions de l’ONU, vent debout contre la départementalisation, reconnaissant un seul État comorien avec ses quatre îles principales unies, la position de l’Union africaine, qui pointent l’illégalité de la présence française à Mayotte, la France considère Mayotte comme partie intégrante de la république. Dans les années 2010, de grandes ressources pétrolières et gazières au large de l’archipel et donc de Mayotte ont été découvertes. Les deux tiers du transit de la production mondiale de pétrole passant dans le canal du Mozambique, expliquent avec la position géostratégique de l’île dans l’océan indien, la volonté de la France de rester dans cette zone. La France y est d’ailleurs concurrencée par la Chine, l’Arabie Saoudite avec des aides financières conséquentes.

Un autre fait, dans les années 1970, explique la volonté de la France de conserver son influence à Mayotte. La France possédait à Madagascar la base navale militaire de Diego Suarez (Antsiranana) avec le Haut commandement des forces françaises dans l’océan indien. En 1972, le président malgache Tsiranana, très contesté pour son soutien aux intérêts français, quitte le pouvoir. Une convention est signée avec Madagascar en 1973, reconnaissant la base de Diego Suarez comme partie intégrante du territoire national malgache et relevant de la souveraineté malgache. La base passe sous commandement malgache. Le point de repli pour les Français devient alors Mayotte avec sa rade de Dzaoudzi.

Mais pour Cheikh Ali Abdourahamane « jamais Mayotte ne pourra se fondre dans la nation française. Le français est la langue maternelle de seulement 1,4% des habitants de Mayotte… Outre la langue, la conception de la famille des Mahorais, leur mode de vie, leur architecture, leur religion, leurs goûts musicaux et leurs traditions culinaires diffèrent de ceux des français ». Et au plan politique « tout est décidé à Paris ou à la Réunion. Ici, ce sont des petits fonctionnaires qui décident de tout…On voit un adjoint au maire trembler devant une sous-préfète ». L’implication des réseaux français dans les opérations de déstabilisation des Comores est aussi citée  » parce que, quand les Comores sont déstabilisées, à Mayotte, on est bien content d’être resté français. L’épouvantail comorien joue sans cesse ».

Alors situation inextricable qui peut se prolonger encore pendant de nombreuses années avec la crainte d’explosions sociales ou avenir possible avec beaucoup d’efforts des deux parties en présence, pour améliorer la vie des Mahorais et des Comoriens parmi les plus pauvres du monde ?

Alain Roumestand