Depuis le 8 janvier 2020, Jean-Charles Manrique n’est plus Directeur général des services (DGS) du conseil départemental d’Eure-et-Loir (CD28). Pour ceux qui auraient raté des épisodes de son bail de deux ans, jour pour jour en Eure-et-Loir, ce billet vient à propos pour leur permettre de retrouver le fil.
De l’automne 2001 à l’automne 2018, Albéric de Montgolfier exerce le mandat de président du conseil général d’Eure-et-Loir, devenu conseil départemental en 2015. Confronté à la loi sur le cumul des mandats, de Montgolfier démissionne en octobre 2017 de son poste, préférant conserver son autre mandat de sénateur d’Eure-et-Loir. À cette date, le rapport des forces politiques est le suivant : 28 conseillers de droite, tendance LR, et deux conseillers de pseudo-gauche. Mais la majorité de droite est déchirée en deux clans irréconciliables, d’importance équivalente :
– les Montgolfiéristes,
– les Gorgiens, soutenus par le maire de Chartres, Jean-Pierre Gorges, avec sa garde rapprochée : Elisabeth Fromont, Karine Dorange, Daniel Guéret, Franck Masselus et Rémi Martial.
17 octobre 2017 : les Gorgiens réussissent à faire élire Claude Térouinard au poste de président du conseil départemental d’Eure-et-Loir. Furieux de voir son candidat battu, de Montgolfier (demeuré simple conseiller départemental) intente un recours en annulation de l’élection de son successeur devant le tribunal administratif d’Orléans. Lequel est rejeté. La tension entre les deux clans est à son comble.
4 décembre 2017 : Bertrand Maréchaux quitte ses fonctions de DGS au conseil départemental d’Eure-et-Loir, moyennent un protocole de fin de mission d’un montant de 150 000 euros. Sarah Bellier assure l’intérim.
8 janvier 2018 : Jean-Charles Manrique prend ses fonctions au conseil départemental d’Eure-et-Loir. Il est chargé de réorganiser les services. Les départs et les mises au placard se multiplient au cours de l’année.
11 septembre 2018 : Claude Térouinard signe le bail du logement de fonction de Jean-Charles Manrique à Orléans « pour nécessité absolue de service ». À 75 km de son lieu de travail !!!
5 novembre 2018 : retrait de la « délibération Manrique » de l’ordre du jour de la session du CD28, à cause des réserves de plusieurs conseillers « mongolfiéristes ». Ce même jour, la vice-présidente Elisabeth Fromont affirme publiquement : « Le Président, avant de s’engager et de signer un bail, a pris les précautions nécessaires. Il s’est entouré juridiquement d’un avocat, ainsi que du contrôle de légalité. » (PV du CD28 du 5 novembre 2018). Quelques jours plus tard, une note juridique signée Bernard de Froment, avocat parisien, adressée à tous les conseillers départementaux, indique que « l’attribution d’un logement de fonction situé à Orléans par nécessité absolue de service au DGS du département d’Eure-et-Loir paraît conforme à l’esprit de la loi et au principe de parité entre régimes indemnitaires du corps préfectoral et des DGS des grandes collectivités territoriales. »
17 décembre 2018 : adoption de la « délibération Manrique », avec seulement 15 voix pour sur 30 (14 élus refusent de participer au vote, une abstention).
21 décembre 2018 : le site Internet d’informations locales www.cactus.press révèle le scandale.
3 et 7 janvier 2019 : la préfète d’Eure-et-Loir Sophie Brocas adresse deux courriers d’observations au président du CD28 au sujet de « l’affaire Manrique ». Celui du 7 janvier est officiellement présenté comme un recours gracieux.
9 janvier 2019 : informé par Cactus, Le Canard Enchaîné s’empare du sujet, suivi par d’autres médias nationaux, dont RMC.
15 janvier 2019 : enregistrement du recours pour excès de pouvoir du contribuable Gérard Leray par le tribunal administratif d’Orléans. Aucun conseiller départemental n’ose l’imiter.
Février 2019 : Cactus publie le relevé de deux cartes électroniques, l’une servant au ravitaillement en essence automobile (Actys Eurotrafic C7), l’autre au règlement de péages autoroutiers (Liber-t ASF), utilisées par Jean-Charles Manrique au titre de ses activités professionnelles, du 8 janvier au 4 novembre 2018… « Entre autres, il convient de saluer la formidable performance du sieur Manrique, accomplie le dimanche 14 octobre 2018 : deux pleins d’essence à quatre minutes d’intervalle, pour deux véhicules différents. »
7 mars 2019 : la requête du contribuable Leray est rejetée par le TA d’Orléans : il n’a pas intérêt à agir parce que « le coût du logement de fonction du DGS n’a pas d’incidence significative sur le budget de la collectivité ». Dans la foulée, sous la pression de la préfète Sophie Brocas, Claude Térouinard, président du conseil départemental, cède : il informe par écrit la représentante de l’État que le bail du logement de fonction à Orléans de son DGS sera révoqué à la date du 30 juin 2019. À la place, Manrique se voit attribuer un logement de fonction à Luisant.
Courant avril 2019 : Cactus révèle que la médecine du travail a alerté le DGS Manrique (depuis l’automne 2018) sur l’exposition de membres du personnel des services départementaux à des facteurs psychosociaux de risque. Dans la foulée, deux plaintes sont déposées contre CAC47 et Cactus à cause de la divulgation d’informations confidentielles…
8 juillet 2019 : un cadre du CD28 tente de se suicider. Il est grièvement blessé et hospitalisé : pour son geste désespéré, il a utilisé un véhicule appartenant au CD28. Il fait l’objet d’une mesure disciplinaire pour détérioration de matériel public.
Octobre 2019 : Claude Térouinard signifie à Jean-Charles Manrique la fin de sa mission de DGS.
Décembre 2019 : Cactus apprend que Jean-Charles Manrique ne quitte finalement pas complètement le CD28 : jusqu’au 30 juin 2020, c’est-à-dire après les élections municipales, Manrique sera « chargé de mission » pour la mise en place d’une Agence départementale des solidarités (ADS).
Décembre 2019/janvier 2020 : le procureur de la République de Chartres saisit la police orléanaise pour enquêter sur « les malaises » accumulés au sein des services du CD28…