Blanc, de Sylvain Tesson
« Cette fois, je partais dans le blanc. Et je comptais sur la couleur substantifique pour me pourvoir la joie. Le séjour dans les paysages de neige est une saignée de l’âme. On respire le Blanc, on trace dans la lumière. Le monde éclate. On se gorge d’espace. Alors s’opère l’éclaircie de l’être par le lavement du regard. » exprime magnifiquement bien Sylvain Tesson dans son dernier livre narratif Blanc.
Voyageur invétéré, ce drôle de citoyen est toujours prêt à embarquer pour vivre des aventures oniriques. C’est sa vie. Comme il le dit sans ambages, il n’est pas un romancier de l’imaginaire : « J’ai besoin de vivre les choses pour les raconter. J’aurais aimé pouvoir écrire des livres sans avoir besoin de les vivre, mais je ne sais pas faire. » Pour cette nouvelle aventure de la traversée des Alpes de Menton à Trieste, Sylvain Tesson a fait comme habitude. Il a pris inlassablement des notes pour narrer chaque détail de ces quatre vingt cinq jours de traversée d’un désert blanc. Cette traversée des Alpes à ski ne s’est pas faite en une seule fois. A la fin de chaque hiver à partir de 2018, l’écrivain a réalisé plusieurs étapes qui l’on fait passer par la Suisse, l’Autriche et la Slovénie.
Accompagné de son guide Daniel du Lac, Sylvain Tesson épouse le blanc d’un noir éblouissant au dessus des montagnes. Malgré l’effort, les risques, les intempéries, le froid polaire, l’aventurier nous entraîne derrière ses pas dans une substance où tout disparaît. Au hasard de ce voyage, la fatigue laisse souvent place à l’esprit en quête de remises en question comme il l’explique en évoquant nos vies contemporaines : « Le principe de l’accumulation ne menaçait pas seulement le skieur, il régissait nos existences. Trop d’informations pour l’enfant, trop de possessions pour l’adulte, trop d’années pour le vieillard : nous vivions sur des corniches alourdies. « Rien de trop » savaient les prêtres d’Apollon dans le temple de Delphes. « Trop de tout » répondait notre siècle. Les gestes s’alourdissaient, la pensée s’encombrait, les placards des appartements vomissaient leur trop-plein : ça patinait. Et dans nos vies obèses, effarés de stimuli, nous nous tassions, attendant l’avalanche. »
Une avalanche, qui semble de plus en plus s’annoncer au regard du changement climatique, et d’une vie terrestre un peu trop terre à terre dans un cimetière enchanté où l’homme sème son malheur. Ce que constate Sylvain Tesson : « En 2019, les hommes avaient continué à s’entretuer passionnément, on avait découvert l’iPhone II, le Progrès avait fait des progrès. Par exemple, la flèche de Notre-Dame avait brûlé. Que signifiait-elle, dressée au-dessus du siècle 21 ? Il était logique qu’elle se retirât. L’homme moderne a autre chose à faire que de tourner son regard vers le ciel. »
Dans son livre, Sylvain Tesson, un brin philosophe sans être donneur de leçons, se présente devant nous, les doigts tendus comme des trous, pour nous suggérer que « L’homme serait inspiré de faire comme l’aiguille : retenir les rayons de la vie. Jamais les ombres. Ces heures hautes et claires aidaient à l’exercice : effacer ce qui salit. Ne conserver ni rancune, ni dépit. Rester blanc comme neige. »
Au sommet de la terre, elle brille éternelle… la neige.
Pascal Hébert
Blanc, de Sylvain Tesson, éditions Gallimard, 235 pages, 20 euros.
Photographie : Francesca Mantovani