Berlin pour elles, de Benjamin Laforcade
Berlin pour elles, roman de Benjamin de Laforcade, est un beau retour sur les années RDA. Ces années oubliées du temps de la guerre froide et du fameux mur de Berlin, ville coupée en deux. Si du côté de l’ouest, la vie paraît plus heureuse, du côté de l’est, cela ressemble plutôt à une prison à ciel ouvert. Les citoyens vivent sans horizon, remplissant tant bien que mal les tâches qui leur sont assignées. Mais c’est surtout à partir du point de vue de deux fillettes que l’on découvre la vie du côté de la République démocratique allemande.
Hannah et Judith sont deux gamines qui viennent de deux mondes différents. Et pourtant à six ans, les deux fillettes se reconnaissent et deviennent inséparables. Au grand dam du père de Judith, cadre de la funeste Stasi. Hannah n’est pas fréquentable aux yeux d’un agent du gouvernement soucieux de ne pas être pris en défaut avec des citoyens peu recommandables. Ce qui semble être le cas de la maman de Hannah, dont la réputation ne semple pas irréprochable. Cela n’empêchera pas, pendant un temps, de voir les deux mères des enfants se côtoyer et Judith accueillir son amie dans sa chambre.
Dans le périmètre de Judith et Hannah, il y a des personnages qui sortent de l’ordinaire. Comme ce drôle de clown que tout le monde voit marchant clodi clodo dans les rues ou s’éloignant du côté de l’église où il est recueilli par un pasteur subversif. Le clown et son protecteur forment un sacré duo pour tenter de mettre en route une presse. Ancien soldat nazi, Werner a décidé de maquiller son visage et de boire plus que de raison, comme pour faire un bras d’honneur aux agents de la Stasi toujours aux aguets dans les rues et dans les cafés. Et puis il y a Karl, le fils rebelle du pasteur. Adolescent, il tente de percer le secret qui anime son père et le clown dans les sous-sols de l’église. En rupture de ban avec le pasteur, Karl devient trafiquant en important tout ce qui vient de l’ouest et pouvant être monnayé à l’est. Dans la famille de Judith, il y a Michael, le petit frère qui lui aussi quittera le giron familial pour devenir un opposant au régime en place.
De la petite à la grande histoire, les personnages de Benjamin de Laforcade tentent de s’accommoder de ce que peut leur offrir un pays sans rêve ni avenir. Au cours des vingt années allant de 1967 à 2016, on les regarde évoluer, prendre des décisions ou non et surtout trouver leur place dans une société totalitaire. Entre l’innocence de l’enfance et la réalité de la vie, Judith et Hannah s’adaptent comme elles peuvent dans une existence où tout est petit. Mais le mur de Berlin qui finira par tomber leur permettra de vivre au grand jour leur passion. Une passion qui ne s’est jamais éteinte derrière les barbelés. West Germany, east Germany, un seul pays, un mur aussi...
Pascal Hébert
Berlin pour elles, de Benjamin de Laforcade, éditions Gallimard, 203 pages. 19,50 euros.