Stivell par Alan
Rencontre avec Alan Stivell qui publie Stivell par Alan, aux éditions Ouest France.
Après avoir écumé les scènes du monde entier, Alan Stivell prend la plume pour lever le voile sur un parcours de vie exceptionnel. On a beaucoup dit et écrit sur le chanteur et défenseur de la culture bretonne avec souvent un grand nombre d’approximations. Cette fois-ci, Alan Stivell ne laisse à personne le soin d’éclaircir sa pensée sur tous les sujets qui l’ont animé depuis que son père a fait renaître la harpe celtique. Au cœur de ce récit passionnant dans un livre magnifique Stivell par Alan, il y a bien sûr une région : la Bretagne, avec sa langue, sa musique si particulière, sa culture, une géographie mystérieuse entre l’armor et l’argoat sans oublier ses liens avec la grande Celtie.
Alan Stivell parcourt toute sa vie dans cette autobiographie superbement illustrée par des documents et des photos originales. Le chanteur livre des anecdotes sur la production de ses albums, le vedettariat à partir de son concert historique de février 1972. Il nous explique également comment les planètes se sont si bien alignées pour qu’un « revival 2 » de la culture bretonne prenne une si grande ampleur au début des années soixante-dix.
Naviguant entre informations publiques et familiales, Alan ne manque pas de rendre hommage à ceux qui l’ont accompagné depuis ses débuts. On le voit en photo avec Michou, une cousine proche et bien sûr Marie-Jo, sa femme dont le soutien inconditionnel lui a permis de réaliser une grande partie de ses rêves.
Dans ce livre, Alan explique également ses positions politiques sur cette Bretagne qu’il voit une et donc unie avec la Loire-Atlantique.
D’Alan Stivell, on retient bien évidemment sa large contribution à faire renaître la culture bretonne. Grâce à lui, elle retrouve ses lettres de noblesse en s’adaptant à son temps. Depuis ses débuts, Alan n’a jamais cessé de chercher à ouvrir les horizons de la musique bretonne. Ses albums, comme entre autres, 1Douar avec des invités du monde entier ainsi qu’Again sont bien là pour nous le prouver.
L’homme est un artiste universel intéressé par toutes les cultures. C’est un chercheur, un peintre des atmosphères musicales, n’hésitant pas à se remettre en question à chaque album. On ne le dira jamais assez, Alan Stivell a plus d’importance qu’on ne peut l’imaginer dans la musique bretonne, française et mondiale !
Pascal Hébert
Stivell par Alan aux éditions Ouest France. 176 pages. 30 euros.
Interview. Alan Stivell : « L’histoire bretonne du XXème siècle a été très influencée par les Bretons de Paris. J’en suis un modeste exemple. »
Qu’est-ce qui t'a motivé à écrire une autobiographie ?
Alan : les interviews ne suffisent pas. Je ne trouve déjà pas tout le temps que je voudrais pour la musique, donc encore moins pour l’expliquer. Donc un livre par décennie en gros. Pourtant, que de choses à préciser !
Comment analyses-tu l’importance de la diaspora et de la Mission bretonne de Paris dans le revival de la culture bretonne ?
Alan : j’apprécie le travail de la Mission bretonne, mais aussi d’autres initiatives. La diaspora dont j’ai fait partie, de manière active à partir de l’âge de dix ans, ce fut celle des assos bretonnes, de l’ancienne Maison de la Bretagne, de Kêr-Vreizh, des pardons, des fêtes, des scouts bretons Bleimor, des bagadoù et cercles celtiques. L’histoire bretonne du XXème siècle a été très influencée par les Bretons de Paris. J’en suis un modeste exemple.
Dans ton livre, tu parles aussi de l’importance de Glenmor et de Xavier Grall dans le retour au premier plan de la culture bretonne. Que représentent pour toi le chanteur et l’écrivain ?
Alan : Après-guerre, il était difficile de revendiquer, car la position de certains militants avait donné une sorte de traumatisme, lequel a été, est toujours exploité contre nos revendications. Glenmor a permis, à une minorité de Bretons conscients, d’abandonner la déprime et de croire à nouveau qu’on pourrait changer le destin de notre pays. Xavier Grall a surtout apporté, par son talent et une présence journalistique, sa contribution à la vitalité d’une Bretagne des lettres et contribué à une dignité bretonne retrouvée. Il partage ce mérite avec un certain nombre de confrères longs à citer (ne serait-ce que Pêr-Jakez Hélias et Morvan Lebesque).
Comment vois-tu l’évolution de la Bretagne et de sa langue ?
Alan : Nous avons obtenu de réelles avancées, hier utopiques : la visibilité de la langue par exemple. Le problème est que nous avons atteint un degré où nous n’avons pas gagné une pérennisation, une sécurité pour l’avenir. La bouteille est donc plutôt moitié vide que moitié pleine. Il y a des résistances passives, d’autres plus actives. On voit certains commentateurs, universitaires notamment, à travers ouvrages, magazines et plateaux télé, livrer leur fiel contre les « derniers des Mohicans » qui osent juste vouloir vivre. Heureusement, tout le monde ne se laisse pas emporter par leur complotisme habillé de diplômes. Tant que nous ne gagnons pas la bataille de l’officialisation, par la modification de la Constitution, par exemple, l’espoir reste mince.
Pourra-t-elle obtenir un jour le statut de région indépendante ?
Alan : L’association des deux termes « région » et « indépendante » me parait antinomique. Région autonome, cela reste quand même possible, puisque l’idée progresse beaucoup. Par contre, je préfère être plus précis sémantiquement et distinguer les véritables régions et les minorités nationales. L’une d’elle a d’ailleurs déjà perdu heureusement ce terme « région » inapproprié pour celui de territoire ; je veux parler de la Corse. Il y a dans la République française de vraies régions (Centre-Val de Loire, Normandie, etc.). Celles-ci peuvent réclamer plus de décentralisation. Il y a, par ailleurs, huit minorités nationales, ayant des droits reconnus internationalement, sauf par la France. Elles sont frustrées d’un véritable statut autonome spécifique, seul moyen d’exister sans devoir passer à l’indépendance.
Tu vas sortir prochainement un double CD de ta symphonie celtique revue et jouée l’an dernier à Lorient. As-tu d’autres projets artistiques ?
Alan : L’été 2021 et encore davantage avril 2022 m’ont vu avec l’Orchestre National de Bretagne. Il ne s’agissait pas de présenter ma Symphonie celtique n°2 (encore en finalisation). Mais quelques extraits. J’ai, l’an dernier, pu présenter un concert entièrement symphonique, à travers les orchestrations que j’ai écrites moi-même également pour mes « titres emblématiques ». Un double CD live et DVD a été fait et fabriqué et j’attends maintenant l’autorisation de l’ONB. Je devrais le savoir prochainement.
Tu joues avec un claviériste dans les chapelles et églises. Que ressens-tu avec ce format de concert ?
Alan : Il y a évidemment un climat, une écoute quasi religieuse qui porte la musique à s’élever.
Que recherches-tu dans la cosmologie ?
Alan : Le cosmos m’a fasciné vers l’âge de sept ans, deux ou trois ans avant que je tombe en passion celtique. Fasciné, je l’étais effectivement, imaginant toutes ces civilisations forcément ultra différentes : ne serait-ce que pour la technologie et la science. Dès le départ, j’ai mis beaucoup d’espoir dans leurs avancées. J’ai, ensuite, pris aussi conscience des aspects négatifs. Le cosmos, c’est aussi trouver, dans la relativité du temps, l’espoir que la science confirme éventuellement nos rêves d’éternité qui rejoindraient nos quêtes spirituelles.
Propos recueillis par Pascal Hébert